« Les Valeureuses » de Sophie Bessis ou le panthéon féminin de la Tunisie

L’historienne franco-tunisienne retrace les vies « hors norme » de cinq Tunisiennes, de l’Antiquité au monde moderne, qui habitent l’imaginaire collectif et continuent de le fertiliser.

Par Frédéric Bobin (Tunis, correspondant)

LE MONDE
Cinq femmes, cinq Tunisiennes et, au fil de la plume de Sophie Bessis, un passé exhumé, l’exploration de destins individuels transfigurés par l’imaginaire collectif. Au panthéon de la Tunisie, des mythes féminins trônent, suscitant une inlassable vénération. Dans Les Valeureuses ou Cinq Tunisiennes dans l’Histoire, Sophie Bessis, écrivaine franco-tunisienne, historienne de formation, faire revivre ces figures d’exception « devenues d’incontournables marqueurs de la mémoire du pays ». Leur héritage, écrit-elle, participe de cette « tunisianité » dont l’histoire récente a illustré l’ombrageuse fierté.

La chronique populaire n’a cessé de louer leur geste. D’Elissa, la princesse phénicienne fondatrice de Carthage (aussi appelée Didon), à Habiba Msika, chanteuse et comédienne juive des années 1920 aux manières transgressives, en passant par Aïcha Sayida Manoubia, la « sainte libre » du XIIIe siècle célébrée par la tradition soufie, Aziza Othmana, princesse tuniso-ottomane du XVIIe siècle à légendaire bienfaisance et, enfin, Habiba Menchari, féministe dont la conférence de janvier 1929 hostile au port du voile choqua jusqu’à Habib Bourguiba, l’auteure enchaîne les portraits de femmes peu communes dont la notoriété relève souvent de l’énigme.

« Démêler le vrai du faux »

Sophie Bessis reconnaît avoir peiné à « démêler le vrai du faux » tant les récits épiques brouillent la réalité historique. La fondatrice de Carthage a-t-elle jamais existé ? Qu’importe au fond. Elle a fini par exister dans les têtes à force d’inspirer foison d’odes artistiques et littéraires. Les prodiges prêtés à la sainte Aïcha Manoubia sont fort peu documentés ? La encore, l’essentiel est que la mémoire l’ait magnifiée. La sulfureuse conférence de Habiba Menchari en 1929, sa seule prise de position publique, n’est-elle pas une bien maigre occurrence pour lui valoir une si flatteuse postérité ? Personne n’ira le lui disputer car l’important est que pareille fulgurance, fût-elle celle d’un instant, saisisse durablement les esprits.

Les Valeureuses n’est sûrement pas un livre sur les Tunisiennes. Il aurait fallu pour cela enquêter sur des vies ordinaires, ce qui n’était pas le propos de l’ouvrage. Sophie Bessis a délibérément choisi des figures « hors norme » et connues pour « leurs excès ». Car seul ce type de destinée à la singularité baroque, voire marginale, peut « fissurer les murailles » d’un roman national encore trop dominé par les gloires masculines. Les Valeureuses, cet autre regard sur l’imaginaire tunisien.

Les Valeureuses ou Cinq Tunisiennes dans l’Histoire, de Sophie Bessis, éditions Elyzad, Tunis, 2017.

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