Musso, Chetcuti & Pino: quand nos boulangers parlaient italien
publié par Hatem BOURIAL
L’expression « khobz talian » revenait souvent dans notre langage quotidien. Elle n’est plus usitée depuis que les gros pains ont peu à peu disparu au profit de la baguette.
En effet, jusqu’aux années 1970, les pains vendus chez nos boulangers répondaient souvent à des appellations ethniques, si vous permettez l’expression.
On parlait ainsi aussi bien de pain « arbi », « talian », « viennois » ou encore « francis ». Ainsi, par exemple, le « khobz arbi » qui sortait du four du quartier se déclinait selon deux grandes variétés « tbaq » et « smid » qui avaient une apparence et un goût différents.
Ceci dit, le « khobz talian » avait les faveurs de tous et a continué à être demandé bien longtemps après le départ des artisans italiens. De fait, la qualité de ce pain et sa singularité se sont peu à peu dégradés. Le nom était resté mais désignait tout autre chose: un pain grossier à la farine trop raffinée et à la cuisson imparfaite.
Devant cette dégringolade qualitative, le pain « talian » finira par tirer sa révérence et disparaître de nos radars. De nos jours, c’est le règne incontestable d’une baguette aussi normée qu’insipide et indigeste.
Il n’en a pas toujours été ainsi. Car chez certains boulangers d’origine italienne ou maltaise, le pain était un véritable festin. Chaque ville avait ses boulangers italiens attitrés qui apportaient de la diversité sur nos tables.
C’est par exemple le cas du fameux Saliba à Grombalia et c’est aussi ce qui a fait les parcours de Musso, Chetcuti, Cupioli ou Pino à Tunis. Il est d’ailleurs certain que chacun de nos lecteurs pourrait citer une lignée de boulangers italiens qu’il soient de Sousse, Sfax, Bizerte (Ex: Martinelli) ou ailleurs.
Ce dont je me souviens bien dans ces boulangeries, ce sont les grands présentoirs et aussi les coupoirs qui servaient à débiter le pain. En ce temps, le pain d’un kilo était monnaie courante et on se contentait parfois d’une simple tranche.
Chez ces boulangers, tout avait sa place: la focaccia bien craquante, le sfilatino aussi effilé que le suggère son nom et aussi la mafalda sicilienne au sésame et la cuddura aux tresses si reconnaissables.
Quant au pain proprement dit, le fameux « khobz talian », il était objet de toutes les attentions. Avec sa mie blanche et ses entailles si caractéristiques, il était souvent couvert de nigelle et sortait tout chaud du fournil.
C’est ce pain volumineux dont une variété était nommée « zigzag » qui habite encore nos mémoires. Son fumet capiteux et sa consistance me semblent irremplaçables mais à jamais disparus.
D’ailleurs, le pain blanc, dodu et inimitable de nos casse-croûte d’antan sortait généralement de ces boulangeries.
Ave pane italiano ! Même si nous continuons à avoir du bon pain, tu nous manques bien cruellement…
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