RECHERCHES RELIGIEUSES ET HISTORIQUES SUR LA COMMUNAUTE LIVOURNAISE DE TUNIS, par E. Elhaïk.

RECHERCHES  RELIGIEUSES  ET  HISTORIQUES  SUR  LA  COMMUNAUTE LIVOURNAISE  DE  TUNIS, par E. Elhaïk.

 

La communauté livournaise de Tunis fondée en 1710, par des émigrés italiens venus rejoindre les réfugiés juifs espagnols, portugais, puis européens, qui vinrent par vagues successives s’installer à Tunis  pour des raisons économiques, a conservé dans ses archives et ses   documents internes, des trésors historiques, encore en exploitation, à ce jour.

 https://harissa.com/news/article/la-communaut%C3%A9-livournaise-de-tunis

Ses deux registres communautaires sont conservés à Jérusalem.

Le premier registre appartient au Makhon Yad Ben Zwi, l’Institut des Etudes Juives Orientales. Il est  écrit principalement en judéo-arabe. Il  a été déchiffré, puis publié avec une traduction hébraïque en 1997,  à Lod, par le Professeur Itshak Abrahami, de l’institut Yad Tabenkin d’Efal : 300 pages en judéo arabe et en hébreu, sur l’histoire économique de cette communauté, précédées par  une introduction historique de 60 pages en français.

http://www.wslibrary.net/sifria/he/klali/2235-pinqas-haqehila-haportuguesit-betunis_abrahami-itshak.html

  1. Attal et Yossef  Habibi ont publié, en 1989, 2 registres matrimoniaux de cette petite communauté. Ils ont retrouvé en  2000, un nouveau registre qu’ils ont publié. Cassuto  les a mis  à disposition in extenso sur le net.

http://bob.cassuto.free.fr/

Puis en 2015, Gilles Boulu  et Alain Nedjar ont retrouvé et fait paraitre 2 registres supplémentaires. Cela fait une période ininterrompue de contrats de mariage allant de 1788 à 1881. Mais ce  travail est incomplet car l’existence de 10 registres matrimoniaux est, en effet, attestée dans les sources internes. Ils couvrent la période de 1754 à 1917.  Ce travail est une source précieuse d’informations généalogiques pour ces originaires.

 https://harissa.com/news/article/la-communaute-juive-portugaise-de-tunis-dite-livournaise-ou-grana-registres-matrimoniaux-181

Plusieurs conventions communautaires ont été signées pour établir  les droits et les obligations de chaque communauté, dans la ville de Tunis. Rédigées en hébreu et  publiées dans le livre Michkénot Aroïm de Rabbi Ouziel Elhaïk, celles de 1741 et 1784 ont été traduites en français et publiées dans le livre de Lionel Lévy, « la Nation Juive Portugaise, Livourne, Tunis », page 353 et suivantes.

https://harissa.com/Genealogie/granalevy.htm

La convention unilatérale de 1741 rappelait la  participation des livournais au 1/3 de   l’impôt communautaire juif dû au Bey, alors qu’ils ne représentaient que 5 à 10 % des juifs de Tunis.

Elle interdisait surtout aux tunisiens d’acquérir de la viande de la communauté livournaise.

Puis la convention unilatérale de 1784 a renforcé cette interdiction. On a retrouvé,  dans le livre Toldot Hakhmé Tounis ( page 182 ), la liste des 7 rabbins et des 60 fidèles tunisiens signataires qui l’ont ratifié.

Plus tard, plusieurs grands rabbins ont eu à se prononcer sur ces deux conventions.

Rabbi Ishak Taieb, (Grand Rabbin de Tunis de 1818 à 1830), précise, dans son livre Erekh Achoulhan  ( H M 34.12), qu’elle est toujours valable.

Rabbi David Bonan et Rabbi Yéouda Alévy, dans le livre Dé Achev (Y D N° 13), ont essayé d’alléger cette contrainte pour les tunisiens.

Rabbi Avraham Acohen Ishaki, dans le livre Misvot Kéhouna (N° 66), réaffirme cette interdiction.

Rabbi David Sfez, approuvé par le Grand Rabbin de Tunis de 1873 à 1880, Rabbi Avraham Hagege, ré affirme encore, plus d’un siècle plus tard, la même interdiction. ( Zaro Chel Avraham  tome 2 page 48 B et 49 A ).

La dernière convention bilatérale de 1878, signée par les 2 grands rabbins, Rabbi Avraham Hagège et Rabbi Avraham Aboccara,  13 rabbins et plus de 200 chefs de famille, a réparti les fonds tirés de la taxe sur l’abattage rituel, en attribuant un pourcentage de celle-ci à chaque communauté, (15% pour les livournais) et un prélèvement supplémentaire pour  le fonctionnement de l’école de l’Alliance Israélite Universelle à Tunis. Rédigée en judéo arabe, elle est bien connue des chercheurs et a été traduite en hébreu et en français. Cette liste des signataires a été découverte récemment à Paris mais pas encore publiée.

Cette convention mentionnée dans le livre hébraïque  Toldot Hakhmé Tounis ( page 75 ), a été publiée dans le livre de David Cazès, Histoire des Israelites de Tunisie (page 200), le livre Tsédék Véchalom du Rabbin Chalom Flah et traduite par Charles Haddad dans son livre, les gardiens du ghetto (page 58-59).

Puis, le Grand Rabbin de France, Zadok Kahn, rédige en 1895, un mémoire contre la fusion des deux communautés, demandée par les notables tunisiens, pour respecter les spécificités de chacune d’elles.

La Yéchiva Kissé Rahamim de Bné Brak, la principale Yéchiva tunisienne d’Israël, a établi la liste des Grands Rabbins de Tunis, tunisiens et livournais, il y a plusieurs années. Pour les livournais, il y a les Grands Rabbins et les Dayanim, rabbins juges.

 http://kisserahamim.chez.com/grandrabin.html

La revue francophone Kountras de Jérusalem, dans son numéro spécial sur le judaïsme tunisien, paru en 1992, a consacré un chapitre entier à la communauté livournaise. On y retrouve également le récit de voyage du célèbre Rabbin Azoulay, le HIDA, qui visita Tunis en 1774. Il alla furtivement chez les livournais, car le Caïd de Tunis était hostile à cette visite. Pourtant, c’est ce Caïd qui organisa l’impression du livre de son maitre, Rabbi Ishak Lumbroso, un livournais, qui fut Grand Rabbin des 2 communautés, avant la scission complète.

https://harissa.com/D_Religion/revuekountrass.htm

Ce numéro a eu beaucoup de succès et a été réédité.

https://harissa.com/news555/fr/kountrass-le-judaisme-de-tunisie

Le travail des rabbins et historiens pour la préservation de ce patrimoine communautaire est fondamental. Citons principalement Cohen (1), Allali (2),  Valensi (3), Saadoun (4 ),  Settbon (5 ). Ce sont les gardiens passionnés (et parfois nostalgiques) de ces trésors inappréciables.

Ils font suite aux historiens a qui, le judaïsme tunisien est reconnaissant : Vehel (6), Sebag (7), Attal (8), Abrahami (9), Taieb (10).

Sur internet,  le site harissa.com a consacré un chapitre entier aux livournais.

 https://harissa.com/Genealogie/granaspage.htm

 Les Curiel, Ghidalia, Halfon, Lussato, Ossona   font partie de la liste des 191 patronymes livournais dressés vers 1932 par Mr Samuel De Paz, membre du conseil de la communauté livournaise, qui sont ci-dessous :

 https://harissa.com/harissa/grana_2.jpg

On retrouve même un sentiment d’appartenance transmis par la mère : l’ancien président de la communauté juive de Tunis de 1951 à 1956, Charles Haddad, avait l’habitude de signer ses livres en ajoutant le nom de sa mère, De Paz, pour rappeler ses origines. On parle maintenant des petits enfants qui ont un ascendant livournais, dont ils font état avec fierté.

Cette présentation succincte de la communauté livournaise de Tunis et des travaux qui lui ont été consacrée, a pour but de sensibiliser ceux qui sont concernés par cette identité, de manière directe ou non, et de les inviter à participer à la poursuite de cette  œuvre patrimoniale de mémoire, de transmission et d’échanges verbaux individuels ou collectifs dans ce domaine.

En effet, le deuxième registre communautaire, évoqué plus haut,  est toujours à l’état de manuscrit. Il est conservé aux Archives Centrales de l’Histoire du Peuple Juif à l’Université Hébraïque de Jérusalem, (Mst TN/Tn  3260). Il a été rédigé à partir de 1897, par Rabbi Yaacov Elhaïk, qui devait devenir, plus tard,  juge suppléant livournais au tribunal rabbinique de Tunis et Grand Rabbin de la communauté de 1904 à 1914. (L’indicateur tunisien 1899).  Il reprend et complète le premier registre, déjà publié.    (Les 2 conventions et le texte du Dé Achev sont repris in extenso)

Il est intitulé dans sa page de garde, Sépher Azikhronot, livre des chroniques ou des souvenirs.

 https://harissa.com/harissa/memoire_com.portugaise_tunis.jpg

 On y trouve plus de 2.5 siècles de décisions communautaires établies par les rabbins de chaque époque avec parfois une approbation signée par les notables et même, rarement, par plusieurs chefs de familles.  Il y a, entre autres,  les lois synagogales, montée au Sépher Torah les jours de fête, religieuse ou familiale,  mais également les lois somptuaires.

Il a été nommé par les historiens, Pinkas Moutak, le registre recopié, car le premier registre ayant été égaré pendant quelques mois en 1897, ce Grand Rabbin a entrepris de le rédiger de nouveau puis a ajouté des éléments complémentaires essentiels. Une partie est en hébreu et judéo-arabe, celle qu’a copiée le Rabbin; Il y a également un inventaire, en français, des biens propres de la communauté livournaise. Puis une partie originale, faite de beaucoup d’articles de presse, principalement en français. Il y a également la liste des patronymes livournais citée plus en haut et de très nombreux documents concernant la communauté livournaise, en français, en italien et en espagnol.

 La partie hébraïque a été déchiffrée il y a plus de 20 ans, par le Rabbin Moché Amar, professeur à l’université Bar Ilan, avec Itshak Abrahami.

Ce rabbin Amar, responsable du Makhon Orot Yaadout Amizrah, l’institut de publication des Lumières du Judaïsme Oriental,   attend une initiative individuelle ou collective pour publier ce deuxième registre qui complète utilement le premier déjà paru.

Téléphone Portable : 00 972 50 720 29 82. magreb@bezeqint.net

Cette publication serait un nouveau jalon dans la connaissance de cette petite entité, très bien organisée, jadis très influente, qui fournit au judaïsme tunisien, une page de son Histoire.

 

 

(1) Rabbi Benyamin Raphael Cohen est l’auteur du Malkhé Tarchich, les Rois de Tunis, l’encyclopédie de 400 pages qui relate la biographie de près de 1000 rabbins tunisiens et livournais, des origines, à 1980. Edité en 1986, il a été réédité en 1991, en 2006, et récemment en 2021.

 https://harissa.com/forums/read.php?55,41058

Dans cet ouvrage monumental, il répertorie, pour Tunis, 20 patronymes livournais sur les 120 noms de famille de rabbins.

Ce Rabbin a édité en 2017,  un  Tome 2, qui poursuit cette œuvre de longue haleine. Dans ces  600 pages, il évoque brièvement la scission, page 204, rappelant que l’ensemble des rabbins n’y était pas favorable. C’était, en effet, une nécessité sociale et liturgique, qu’on a vu dans l’histoire juive dans d’autres cas de communautés migrant en bloc, telle l’arrivée des juifs sépharades d’Afrique du Nord en France, dans les années 1950-1960.

https://harissa.com/news555/fr/malkhe-tarchich    

Cet auteur est le petit-fils de Rabbi Mordékhay Méiss Cohen, Grand Rabbin de Tunisie de 1955 à 1974, qui avait  réussi à sauver les tombes des Grands Rabbins inhumés au cimetière de l’avenue de Londres, pour une ré inhumation au cimetière du Borgel, en faisant appel au Président Bourguiba. C’est ce qu’on appelle actuellement le carré des Rabbins au Borgel. Le reste de l’ancien cimetière est devenu le Square Habib Tameur.

https://harissa.com/news555/fr/les-rabbins-du-cimetiere-du-borgel-tunis

En 2021, il a fait paraitre un tome  3, qui relate les séjours et discours des Rabbins d’Israël, ayant visité la communauté juive de Tunis de 1630 à 1940. En effet, des émissaires des 4 villes saintes d’Israël, Jérusalem, Hébron, Safed et Tibériade, venaient régulièrement échanger avec les rabbins locaux, livres, manuscrits, et documents de valeur. 

(2) Bernard Allali a redécouvert et rénové le mausolée de Rabbi Ishak Lumbroso, Grand Rabbin des 2 communautés jusqu’en 1752, qui se trouve dans la ville de Tunis. Ce Grand Rabbin fut le rédacteur  et signataire pour les livournais de l’accord de séparation de 1710 rappelé dans la   convention communautaire unilatérale de 1741. Cette rénovation a eu lieu le   15 Novembre 1994, en présence du Grand rabbin de Tunisie, Rabbi Haim Madar et du Gouverneur de  la ville. Après s’être occupé d’art et de culture, il poursuit sa tâche immense en contribuant à répertorier les 40 000 tombes du cimetière du Borgel.

(3) Lucette Valensi, historienne livournaise, a été chargée en 2017, par le Président Essebsi, de créer un musée du patrimoine juif à Tunis. Pour diverses raisons, ce projet n’a pas abouti.

(4) Haïm Saadoun a publié en 2005, dans le cadre du Makhon Ben Zwi, un livre en hébreu, de 300 pages, Tounissia, sur tous les aspects de la vie juive en Tunisie. L’iconographie est exceptionnelle. On y voit le Général Valensi, un livournais, chef du protocole du Bey de Tunis. Tous les aspects de cette communauté y sont développés.

https://ybz.org.il/product/%d7%aa%d7%95%d7%a0%d7%99%d7%a1%d7%99%d7%94/

 (5) Rabbi David Settbon est l’auteur à succès de la célèbre série de littérature rabbinique hébraïque et française, Alé Adas, sur toutes les coutumes religieuses de Tunis, la liturgie de la synagogue (du shabbat, des fêtes de l’année et du cycle de la vie en 14 CD) et un rituel de prières pour toute l’année.

https://harissa.com/D_Religion/aleadas.htm

(6) Vehel, de son vrai nom, Victor Levy, a beaucoup écrit sur la communauté livournaise, dont il était issu.

(7) Paul Sebag a publié 2 livres fondamentaux, « Histoire des juifs de Tunisie » en 1991 et « Tunis, histoire d’une ville », en 1998. Il explicite le rôle protecteur des livournais, en particulier pendant la 2 ème guerre mondiale. L’ambassadeur d’Italie à Berlin demanda qu’on épargne les juifs tunisiens de nationalité italienne et il obtint gain de cause. Personne ne portât d’étoile jaune à Tunis ; l’entrée de la Hara fut interdite aux soldats ennemis. Il y eut pourtant des exactions physiques, des spoliations individuelles  et des amendes collectives. Les livournais subirent ces souffrances avec les juifs tunisiens  puis essuyèrent des sanctions à la libération en tant qu’italiens. Puis la communauté fut définitivement dissoute par décret beylical du 17 Février 1944.

Sur ce sujet spécifique des persécutions, le centre Yad Vachem de Jérusalem a édité, en 1997, un livre sur la communauté juive de Tunisie en hébreu. Cet ouvrage relate l’histoire de chaque ville, depuis les origines, jusqu’à cette  période sombre.

https://library.yadvashem.org/index.html?language=en&strSearch=%D7%A4%D7%A0%D7%A7%D7%A1%20%D7%94%D7%A7%D7%94%D7%99%D7%9C%D7%95%D7%AA%20%D7%9C%D7%95%D7%91%20%20%20&searchIn=library

Outre la ville de Tunis qui a subi 6 mois d’occupation allemande, du 09 Novembre 1942 au 07 Mai 1943,  l’ile de Djerba vécut un Shabbat de terreur, le 13 Février 1943, pendant lequel les 2 communautés juives ont été rançonnées ; Elles devaient fournir 50 kilogrammes d’or sous peine de terribles représailles. Cet épisode peu connu, est raconté dans le livre ci-dessus. Il vient récemment d’être exposé aux jeunes générations, dans une bande dessinée, le trésor de Djerba.

https://www.lalibrairie.com/livres/le-tresor-de-djerba--la-persecution-des-juifs-de-tunisie-sou-l-occupation-nazie_0-5598847_9782912553614.html?ctx=3e4e93dcd1439466e7f1fc69c999a373

Comme la situation militaire n’était pas stable et que tout le pays n’était pas occupé, l’oppresseur n’a pas réalisé tous ses funestes projets.

(8) Robert Attal, bibliothécaire émérite du Makhon Yad Ben Zwi, outre les registres matrimoniaux évoqués plus haut, a publié, en 1993, son œuvre majeure, la « Bibliographie des Juifs d’Afrique du Nord » qui regroupe plus de 10 000 titres en hébreu et en français, sur le sujet.

 Il l’a complétée en 2010 par un tome 2, avec 3000 références nouvelles, mis à disposition du public, sur Internet par le Makhon Ben Zwi, pendant plusieurs mois. Le site est actuellement en rénovation.

(9) Itshak Abrahami est le fils de Rabbi Yossef Brami, qui fut secrétaire de Rabbi Moché Sitruk, Grand Rabbin de Tunisie de 1921 à 1927. Cet historien tunisien a axé toute son œuvre sur la communauté livournaise.

(10) Jacques Taieb a publié un nombre de livres et d’articles impressionnants sur les juifs de Tunisie.

                                                                                                                        E. Elhaïk.

 

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