Opinion d'un conservateur à l'aube de la présidence Trump
par Daniel Pipes
Nombreux sont les conservateurs qui ont changé d'avis sur Trump. Ainsi, celui qu'ils trouvaient dérangeant est devenu acceptable. Le cas le plus emblématique de ce revirement est celui de Mitt Romney qui, naguère, désavouait Trump, le traitait de malhonnête, de « charlatan et imposteur », condamnait sa brutalité, son avidité, sa vantardise et sa misogynie et qui, après l'élection présidentielle, s'est mis à faire l'éloge de Trump (« j'attends avec impatience la nouvelle administration »), déclarant espérer travailler pour lui.
Ce changement d'état d'esprit ne s'est pas limité aux demandeurs d'emploi. Les nombreux traits de caractère du président élu que les conservateurs condamnaient il y a peu ont été effacés des mémoires au point que les rappeler s'apparente à faire du vacarme en plein office religieux.
Bien plus, les républicains font preuve d'un optimisme qui confine à l'extase. Louant l'attitude peu conventionnelle de Trump, ils considèrent ce dernier comme le seul candidat qui était en mesure de battre la méprisable Hillary Clinton. Pour reprendre les termes du président de la Chambre, Paul Ryan, « Trump a entendu s'élever dans ce pays une voix que personne d'autre n'a entendue ». Une telle déclaration constitue la « plus incroyable des prouesses politiques » qui ait jamais été donnée d'entendre de la part de Ryan.
En ce qui me concerne, je n'ai pas voté pour Trump, même si je préférais le voir gagner. Depuis l'élection, je suis heureux de voir qu'il reconnait que, étant étranger à ce qui se fait à Washington, il a besoin de constituer un gouvernement de personnes (à l'exception inexplicable du secrétaire d'État) qui s'y connaissent. Je suis même plus heureux encore du fait que nombreux parmi ceux que Trump a choisis sont prêts à défendre un programme conservateur, particulièrement ceux qui ne craindront pas d'être en désaccord avec le patron.
James Mattis et Mike Pence vont-ils ou pourront-ils canaliser Donald Trump ?
James Mattis va mettre fin à l'expérience sur le terrain social menée au sein de l'armée pour faire retrouver à celle-ci sa mission guerrière. Jeff Sessions va s'employer à faire respecter l'État de droit. Steven Mnuchin va simplifier le code des impôts. Tom Price va détricoter l'Obamacare. Betsy DeVos va se concentrer sur les intérêts des étudiants plutôt que ceux des enseignants et des bureaucrates. Andy Puzder va réduire les réglementations qui font barrage à la création d'emplois. John Kelly va sécuriser les frontières. David Friedman va ranimer les relations israélo-américaines.
Toutefois, deux obstacles majeurs subsistent et sont tous deux liés au personnage.
D'une part, Trump peut reprendre d'une main ce qu'il a donné de l'autre main. En raison de son égocentrisme, de sa latitude politique énorme et de l'absence de toute idéologie cohérente, il pourrait, pour un oui pour un non, virer les membres estimables de son gouvernement et les remplacer par des technocrates. Pire, il pourrait librement se défaire de son actuelle orientation conservatrice. Son stratège en chef, Steve Bannon, s'est un jour vanté que « nous sommes en train de bâtir un mouvement politique complètement neuf et entièrement axé sur l'emploi. Les conservateurs vont devenir fous. » Trump lui-même a prévenu que rien de ce qu'il a dit jusqu'à présent ne l'engage : « Tout ce que je dis maintenant – je ne suis pas président – tout est suggestion. Je reste flexible sur les différentes questions. »
Steve Bannon a promis de « bâtir un mouvement politique complètement neuf » qui va faire « devenir fous » les conservateurs.
D'autre part, beaucoup de choses dépendront de la question de savoir si le bureau de la présidence parviendra à dompter Trump ou si ce dernier poursuivra ses vieilles pratiques. Colin Dueck de la George Mason University indique que Trump est un entrepreneur immobilier fanfaron qui adopte des positions rhétoriques maximalistes « alors qu'en fait il n'a pas l'intention de mettre en œuvre chacune de ses déclarations improvisées. » Cela se peut bien.
Toutefois, les traits de caractère qui ont scandalisé tant d'Américains demeurent et se sont effectivement clairement manifestés. Trump a décroché le titre suprême en restant fidèle à lui-même. Il est vrai qu'à 70 ans, on ne change pas si facilement et il est tout à fait possible qu'il continue sur sa lancée : attaques envers des personnes et des sociétés, obsession pour les plaintes, insultes à la presse, déclarations fracassantes fausses ou téméraires, ignorance provocatrice, relations d'affaires douteuses, recours à la bravade procédurière ou encore poursuite acharnée de politiques inconséquentes.
Au mieux, Trump sera après Barack Obama ce que Ronald Reagan fut après Jimmy Carter, à savoir le leader d'un renouveau national d'optimisme et de force. Au pire, ses défauts personnels conduiront à des tensions sociales, à des troubles internes, à des bouleversements économiques et à la guerre. N'ayant aucune certitude sur la direction que va prendre le pays, je reste sceptique. Pour moi, l'Amérique ressemble aujourd'hui à une monarchie qui voit disparaître son roi incompétent mais prévisible au profit d'un fils turbulent et versatile.
À l'heure où Trump devient président, je lui souhaite le meilleur pour lui et pour nous. J'applaudirai quand il agira bien (comme quand il a pris contact avec le président de Taïwan, rompant ainsi avec une situation qu'on a laissé moisir pendant des décennies) et je condamnerai quand il agira mal (comme dans le cas de sa conversation « bizarre et téméraire » avec le Premier ministre du Pakistan). Je ferai de mon mieux pour aider son administration tout en gardant mes distances avec celle-ci : ainsi, je n'en ferai pas partie et je ne lui chercherai aucune excuse.
Par les nominations qu'il a effectuées, Trump a gagné la bienveillance des conservateurs même si les défauts de son caractère suscitent le scepticisme et l'inquiétude. Laissons-le à présent prouver qu'il est digne de la fonction exceptionnelle qu'il s'apprête à occuper.