Arthur Mamou-Mani, le nouvel ovni de l'architecture

Arthur Mamou-Mani, le nouvel ovni de l'architecture

 

PAR LOUIS CHAHUNEAU | Le Point.fr

Spécialiste de l'architecture paramétrique, passionné d'art et créateur de robots, le Français a été choisi pour construire le temple du Burning Man.

Il en aurait presque perdu sa langue natale. À 35 ans, l'architecte français Arthur Mamou-Mani aura bientôt vécu plus longtemps à Londres qu'à Paris. Depuis quelques années, il a élu domicile dans l'Est industriel de Londres. Sa petite agence Mamou-Mani Limited est abritée dans un îlot de start-up, le Gossamer City Project, un empilement de conteneurs aménagés surplombé par un vieil immeuble bombardé pendant la Seconde Guerre mondiale.

L'incubateur abrite toutes sortes d'entreprises : un coiffeur, un café végan tenu par un jeune couple d'Australiens ou encore un salon de massage. Au rez-de-chaussée, une dizaine de jeunes Anglais discutent dans un patio végétalisé. Ici, Arthur Mamou-Mani connaît tout le monde. Il faut dire que, depuis sept ans, le Frenchy au sourire charmeur passe toutes ses journées à faire des allers-retours entre son agence et son Fab Pub (pour « fabrication » et « public »), un atelier de création équipé d'imprimantes 3D et de coupeurs lasers. Ici, les jeunes architectes peuvent donner vie à leurs idées pour environ 40 euros de l'heure. « À la base, je l'avais appelé People Atelier, un clin d'œil à l'Atelier du peuple des beaux-arts en mai 68, explique Arthur Mamou-Mani de sa voix douce. Mais c'était un peu trop long pour les Anglais. Et surtout ils aiment bien les pubs. »

C'est surtout d'ici que le Français prépare son prochain projet phare : la construction du temple du Burning Man, le festival d'art expérimental qui se tient chaque dernière semaine d'août dans le désert de Burning Rock (Nevada). L'édifice spirituel, nommé Galaxia pour sa forme en spirale, nécessite 125 bénévoles sur place pour l'installation, et sera brûlé à la fin du rassemblement, comme la tradition l'oblige. Le défi s'annonce colossal.

 

De l'art à l'informatique

Mais, en ce début d'été ensoleillé, Arthur Mamou-Mani n'a pas l'air particulièrement stressé. Attablé dans le patio devant un sandwich au seitan – un substitut de la viande – et un flat white – entre le cappuccino et le macchiato –, Arthur Mamou-Mani fait l'éloge de la diversité dans son équipe : une Australienne, un Syrien, un Taïwanais, une Basque, un Indien. C'est presque fait exprès, selon lui. Peut-être parce qu'il est lui-même issu d'un brassage culturel. Sa mère, française et attachée de presse, et son père, juif tunisien et informaticien, se sont rencontrés pendant Mai 68.

C'est le second qui lui donne le goût des logiciels. Sa mère, elle, lui transmet sa fascination pour l'art : « En maternelle, il était déjà très sensible aux mobiles d'Alexander Calder, et je l'encourageais à reproduire les œuvres après les expositions », raconte sa mère, qui la « emmené dès son plus jeune âge voir les œuvres de Chagall et de Picasso. Lui se souvient d'ailleurs d'une anecdote de l'époque : « En grande section, on a eu un concours de dessins pour reproduire notre école. Tout le monde dessine, puis on met en commun et on vote. Et là, mon dessin fait l'unanimité sur 20 personnes. Même moi, je n'avais pas envie de voter pour quelqu'un d'autre », s'amuse encore Arthur Mamou-Mani. Au collège, aussitôt les cours terminés, il court au CDI s'entraîner à créer des formes sur le logiciel Logo.

Après un bac ES à l'École active bilingue, il débarque à l'école d'architecture de Paris-Malaquais (Ensa) : « J'adorais Haussmann, Jules Verne, la tour Eiffel. J'avais un intérêt pour l'architecture sans vraiment savoir ce que c'était. Et il n'y a pas beaucoup de métiers qui allient l'art, les mathématiques et l'informatique. » Après des études en demi-teinte, il intègre contre toute attente la prestigieuse école londonienne Architectural Association, où sont notamment passés l'Irako-Britannique Zaha Hadid et le Néerlandais Rem Koolhaas. Là-bas, il se passionne pour l'architecture paramétrique, qui permet de créer des formes complexes via l'utilisation de logiciels. Le regard perdu, Arthur tente une explication plus poétique : « C'est un peu comme une fleur : elle a besoin de différents paramètres comme du soleil, de l'eau et des abeilles. Certains diront que Dieu l'a dessinée, mais on peut aussi considérer qu'une fleur est la somme de plein de paramètres. » De la nature à l'architecture, il n'y a qu'un pas.

« C'est un peu le Léonard de Vinci de demain »

En 2011, après des stages chez Jean Nouvel (Philharmonie de Paris), Patrick Bouchain (théâtre équestre Zingaro) et trois ans au cabinet londonien Proctor & Matthews, Arthur Mamou-Mani crée du même coup son agence d'architecture et son Fab Pub : « Le premier pour mon ego personnel et l'autre pour la révolution numérique, aider les gens à créer leurs projets », raconte-t-il. L'acharné de travail est bientôt récompensé pour son abnégation : son plafond en forme de vague, surnommé Wooden Waves et installé dans les locaux des ingénieurs de BuroHappold, remporte le premier prix d'architecture américaine en 2016. « Je ne sais pas pourquoi, ça leur a plu », commente Arthur avec sa décontraction naturelle.

Les derniers projets d'Arthur reflètent aussi bien son ambition que son imagination. Il y a quelques années, le jeune architecte crée son propre logiciel Silkworm (ver à soie, en français), qui permet de contrôler directement les machines, et le Polibot, un robot de construction suspendu et breveté qui permet de déplacer des pièces. Puis il construit Tangential Dreams, une tour en bois de six mètres de haut présentée au festival américain Burning Man, qui remporte le prix Architizer A+. « C'est l'union de la menuiserie traditionnelle et de l'approche algorithmique : des courbes construites avec des lignes droites », résume Arthur. Son hyperactivité n'étonne pas sa sœur aînée, Julie : « Il a ce côté savant fou qui fait tout son charme. Et puis il fait confiance aux robots, c'est un peu le Léonard de Vinci de demain. » Sa mère affirme : « Il va très vite et n'est jamais là où on l'attend. C'est un peu un ovni. » « Je pense qu'il sera une des grandes figures de l'architecture de ces prochaines années », complète son meilleur ami Solomon.

En attendant de réaliser ses rêves un peu fous, comme un gratte-ciel, Arthur Mamou-Mani se démène pour développer son activité. « Aujourd'hui, on nous appelle aussi bien pour des façades que pour des boîtes de nuit, mais c'est vrai que ce ne sont pas des bâtiments classiques, plutôt des œuvres d'art », explique celui qui affirme avoir réalisé 500 000 livres de chiffre d'affaires en 2017. En écho à son Fab Pub participatif, Arthur Mamou-Mani donne aussi des cours d'architecture à l'université de Westminster depuis six ans. « On a décidé d'enseigner Burning Man, lance-t-il. Chaque année, on emmène nos vingt étudiants dans le désert de Burning Rock pour présenter leurs projets. » Cette année, c'est la consécration. Sa création Galaxia a été sélectionnée par le fondateur du Burning Man, Larry Harvey, parmi douze autres projets. Cette fois, Galaxia ne mesurera pas 6 mais 20 mètres de hauteur. De quoi imposer un peu plus la « patte Mamou-Mani » sur la scène artistique internationale.

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