Des jeunes d’Aubervilliers posent des jalons pour la paix en Israël
Nathalie Revenu N.R.
Une délégation de jeunes et de travailleurs sociaux, dont 14 d’Aubervilliers, a passé une semaine en Israël et dans les territoires palestiniens. Un voyage initiatique et une occasion de trouver les ressorts du vivre ensemble.
De notre envoyée spéciale en Israël
Ils forment un véritable plan de paix à eux deux : Henri Cohen Solal, 68 ans, psychanalyste et fondateur de Beit Esther, une institution qui œuvre auprès des populations défavorisées en Israël, et Nour-Eddine Skiker, président de l’association Jalons pour la paix. Ensemble, ils ont conçu, en partenariat avec l’union des étudiants juifs de France (UEJF), un voyage un peu fou en Israël et en Cisjordanie avec une délégation d’une quarantaine de jeunes de Seine-Saint-Denis — dont 14 d’Aubervilliers — et de travailleurs sociaux d’Ile-de-France.
Dans cette région qui est autant une terre de fantasmes que de haines, la démarche est assez inédite. Dès le départ, une jeune fille, membre du conseil local des jeunes d’Aubervilliers, ose la sincérité : « Nous avons grandi avec les clichés du juif qui spoliait les Arabes. On a vécu un véritable lavage de cerveau. »
Pour contrecarrer ces croyances, Henri Cohen Solal a une recette simple : aller voir de plus près ce qui se passe. A Neve Shalom, petit village mixte juif et arabe, ou bien à Abu Gosh, où musulmans, juifs et chrétiens vivent en harmonie, mais aussi dans des zones plus sensibles comme Jérusalem. « Nous allons rencontrer ceux qui ne se sont pas laissés gagner par un discours de haine », annonce-t-il. C’est le fil conducteur de ce périple.
« On se croirait au Landy ! »
Au détour de petites rues, dans le quartier de Shkounat Hatikva, une banlieue défavorisée de Tel Aviv aux prises avec le trafic de drogue, Henri Cohen Solal leur ouvre les portes de l’une de ses « Beit Ham ». Ces maisons chaleureuses ont été imaginées par ce psychologue. « Mais on se croirait au Landy ! s’exclame soudain Maud en découvrant l’une de ces MJC version israélienne. Sauf que leur maison est bien mieux équipée que celle du Landy. »
Par les fenêtres, une énorme enceinte diffuse à plein volume un tube du rappeur français MHD, et, pour la venue des Français, les Israéliens ont aussi remis en piste « Alexandrie, Alexandra ». Les Beit Ham ou « maisons chaleureuses » existent depuis 35 ans et veillent à « ne laisser aucun jeune à la rue ».
« Une fois qu’ils sont chez nous, on n’exclut personne. Mais qu’est-ce qu’on va causer ! », explique le fondateur. Il croit fermement aux vertus de la médiation interculturelle. Ici, 50 % des jeunes accueillis sont d’origine soudanaise ou érythréenne. La formule a même été transposée à Saint-Denis. Mais elle suscite parfois la réprobation des plus zélés de la mosquée voisine. Ils ne supportent pas qu’on y écoute de la musique ou que des jeunes filles puissent aussi la fréquenter. La Beit Ham de Hatikva semble préservée des tensions religieuses, mais elle se sent un peu isolée : « Nous sommes la seule structure dans le quartier », avoue Henri Cohen Solal.
Sous l’effet des rencontres et des découvertes, les certitudes se lézardent, les clichés tombent et aussi quelques approximations. En revenant de la place Yitzakh Rabin (NDLR : 1er ministre israélien assassiné en novembre 1995 à Tel Aviv), l’un des participants est bouleversé : « Je croyais qu’il avait été assassiné par un Palestinien et pas par un juif. C’est ouf ! » Il n’avait que 5 ans quand le drame s’est produit. Alhambra, elle, est sortie en larmes de Yad Vashem, le mémorial de la Shoah.
Jérusalem échappe à toute logique
Au pied des murailles de la vieille ville de Jérusalem, Mourad confie : « Je m’attendais à voir des barrages, des miradors et des soldats partout comme en Algérie. » Difficile aussi de concevoir qu’ici les Arabes peuvent être musulmans ou bien chrétiens et que des noirs portent une kippa.
Jérusalem échappe à toute logique. « Nous sommes au cœur d’une cité qui fabrique de la radicalisation. Heureusement nous avons 150 associations qui travaillent dans la médiation pour éviter que cette ville ne tombe en morceaux », explique Henri Cohen Solal.
Dans cet Orient déjà si compliqué, la délégation s’apprête à mettre le cap sur les territoires palestiniens. Maud qui a déjà fait, la veille, une incursion à Beit Jala, (NDLR : ville palestinienne jumelée avec Aubervilliers) assène : « Quand tu franchis le check-point, essaye de parler aux Palestiniens du vivre ensemble ! »
Ici, Faryal ne se sent pas jugée
Avec son hidjab noir et sa longue robe qui lui tombe jusqu’aux pieds, Faryal, 29 ans, est identifiable au premier coup d’œil. Elle l’est aussi par son large sourire et ses grands yeux noirs.
Cette étudiante en psychologie à Paris-8, engagée dans la vie de la mosquée d’Aubervilliers, pose pour la première fois le pied en Israël. Elle avoue : « Je n’ai parlé de ce voyage qu’aux personnes suffisamment intelligentes, celles qui n’ont pas d’a priori sur Israël. »
Première surprise pour cette Albertivillarienne qui milite pour le dialogue interreligieux : « En France je suis souvent dévisagée. Ici, je me rends compte que je passe complètement inaperçue. Dans le berceau des religions, personne ne me juge », sourit-elle. Mais elle a remarqué que quand elle marchait au côté de son copain Alex, coiffé d’une kippa, les têtes se retournaient : « Il y a des regards d’étonnement. »
Dans la vieille ville de Jérusalem, pour la prière du vendredi, elle est montée sur l’esplanade des mosquées, où se dresse Al Aqsa. Le soir même, elle était au pied de ce 3e lieu saint de l’Islam, devant le mur des Lamentations où des milliers de Juifs entamaient le shabbat. « Je crois que je n’ai jamais ressenti d’émotion aussi forte. J’ai vécu, dans une seule et même journée, ces deux ferveurs aussi intenses et qui se superposent géographiquement. J’ai vraiment eu de la chance. »
« Jouer un rôle à mon niveau et construire un avenir meilleur »
Merit, 22 ans, étudiante à sciences-po Paris, habite Aubervilliers
Avant de venir pour la première fois en Israël, Merit, 22 ans, a beaucoup lu, appris sur le Proche-Orient. Mais aussi parce que cette culture orientale coule dans ses veines. Merit est née en Egypte et elle est arrivée avec sa famille en France à l’âge de 8 ans. Brillante étudiante, elle vient de passer un an en Floride pour son cursus Sciences-po et s’apprête à entamer un master en relations internationales. Merit est aussi de confession copte (les chrétiens d’Egypte) une petite communauté en France, persécutée dans sa terre d’origine, l’Egypte.
Pourquoi avez-vous souhaité participer à ce voyage ?
« J’avais une connaissance théorique de cette région. Je l’avais vue à travers les yeux des autres et des médias. J’ai voulu constater par moi-même comment les personnes vivent et survivent dans cette zone de conflit. Mais aussi comment cette histoire est racontée par chacune des deux parties.
Avez-vous été surprise au cours du séjour ?
Il existe quand même des forces qui veulent construire pour la paix. On a découvert des micro-exemples. Mais aussi des gens qui se réfléchissent déjà à l’après conflit et se demandent Comment va-t-on vivre avec la paix ? D’autre part, dans la société israélienne on a beaucoup parlé du conflit et on a occulté les tensions sociales pendant un certain temps.
Quels enseignements peut-on en tirer en France ?
Nous avons aussi des leçons à tirer pour préserver un équilibre entre les différentes composantes de la société. Par la suite, je veux m’appuyer sur cette expérience pour jouer un rôle à mon niveau et aider à construire un avenir meilleur. »
leparisien.fr