Généalogie, onomastique et migrations
Le cas de la communauté juive de Nabeul
Victor Hayoun
p. 99-121
Note de l’auteur Texte BibliographieAnnexes Notes Auteur
Note de l’auteur
Cette recherche est extraite d’un chapitre du mémoire de ma thèse de doctorat, intitulée « Histoire de la communauté juive de Nabeul (Tunisie) par la généalogie », présentée et soutenue à l’université Paris 8 en France en 2006.
Texte intégral
1Cette communication a pour but de traiter des migrations juives dans le Maghreb et leurs influences de tout ordre. Pour cela, nous avons mis à profit une généalogie communautaire et une étude onomastique appliquée à une communauté juive très précise, celle de Nabeul en Tunisie, pour mettre en évidence et identifier les origines des migrations qui ont touché cette communauté.
2Les études généalogiques et onomastiques effectuées sur la communauté juive de Nabeul et les familles qui la composaient nous informent des nombreuses migrations de familles originaires d’Algérie et de Libye, en particulier, outre celles venues des différentes villes de Tunisie.
3L’étude des noms de famille, ainsi que la fréquence de l’utilisation de certains prénoms, voire même de surnoms, nous dévoilent des mouvements migratoires aux raisons multiples et parfois inattendues. Nous allons nous attarder sur ces mouvements et leurs éventuelles influences communautaires, sur les plans culturel, linguistique, social et religieux.
1 La bases de données généalogiques que j’ai créée comporte plus de 4 500 noms d’individus et plus de (...)
4L’étude aborde les trois derniers siècles mais s’attarde particulièrement sur le XIXe siècle et le début du XXe. Elle est réalisée à partir de sources de bibliographie onomastique, d’une base de données généalogiques et d’un nombre considérable de témoignages oraux1.
Nabeul et sa communauté
2 Nabeul se situe à 65 km au sud de Tunis, à l’entrée sud du cap Bon dont elle est le chef-lieu.
3 Depuis la moitié du XVIIe siècle jusqu’au début de la seconde moitié du XXe qui connut la fin de la (...)
4 Les sources essentielles qui nous permettent cette affirmation, sont les suivantes :
5 Hayoun M., Nabeul, in brochure ATPJT, Paris, 1994, p. 21.
Monique Hayoun, nabeulienne de naissance, (...)
6 Garali Z., La population de Nabeul en 1885, recherche publiée sur le site www.nabeul.net, Extrait d (...)
7 Haddad M., H’én Tov, op. cit. Les Haddad de Nabeul sont arrivés de Djerba.
5Notre étude s’inscrit dans le large contexte de la ville de Nabeul2 et sa communauté juive. Cette ville du littoral méditerranéen existe depuis l’Antiquité gréco-romaine sous forme d’un petit village qui devint ensuite un comptoir routier. Il y avait dans la ville une minorité juive très importante qui comptait parfois jusqu’à plus du quart de la population totale locale. Elle vivait en harmonie relative avec la majorité musulmane et les autres minorités chrétiennes, principalement de nationalités étrangères. Cette présence juive à Nabeul n’est attestée qu’au cours de ces 300 dernières années3. Cette communauté juive existe au moins depuis la fin du XVIIe ou peut-être même le début du XVIIIe siècle4. Trois éléments essentiels nous confirment cette ancienneté : les pierres tombales les plus anciennes du cimetière juif de la ville datent d’il y a près de trois siècles5. Ensuite, un rapport de l’état-major de l’armée française de 1885 mentionne que : « …Les premiers israélites [de Nabeul] seraient venus il y a près de 200 ans… »6, c’est-à-dire qu’ils seraient venus vers la fin du XVIIe siècle. Et enfin, dans la généalogie détaillée des familles juives de Nabeul, nous constatons que la présence de la famille Haddad7, qui, selon les publications et les documents d’archives, est la plus ancienne des familles juives installées à Nabeul, remonte à la première moitié du XVIIIe siècle.
6Nous n’avons pas de témoignages sur les antécédents de cette communauté. Nous ne savons pas si elle existait avant la fin du XVIIe ou le début du XVIIIe siècle, et si elle existait, nous ne savons pas depuis quand, ni quelle était sa grandeur, et surtout pourquoi ne reste-t-il pas de traces d’avant les trois derniers siècles ?
7Aucune trace de judaïsme n’a, semble-t-il, été trouvée dans les ruines de la Néapolis antique. Aussi, depuis l’Antiquité jusqu’au XIIe siècle, période de la fondation probable de ce qui allait devenir Nabeul, il n’y aurait pas non plus de signes d’une présence juive dans la région.
8Nabeul a toujours été une plate-forme commerciale par son port et son emplacement géographique sur la route de Tunis vers le sud. Des commerçants ambulants juifs, qui colportaient leurs petites marchandises de village en village, passaient par Nabeul sans s’y installer. Cependant, parfois, cette présence juive nomade se transformait en migration et ces petits commerçants juifs avaient fondé, petit à petit, cette communauté juive de Nabeul.
8 Ouvrage collectif dirigé par Yéhia El-Ghoul, De Néapolis à Nabeul, Alif les éditions de la Méditerr (...)
9 Benjamin II [Israël fils de Yossef Benjamin], Massaé’ Israël [Les Voyages d’Israël [Benjamin]], 185 (...)
9Les premiers témoignages de cette présence se trouvent dans l’enregistrement des impôts de capitation établis sur les juifs de la localité – 80 personnes en 1756 et 500 en 18598 – et dans les témoignages laissés par Benjamin II lors de sa visite en Tunisie en 18539 : « …[dans] la ville de Nabeul… habitent près de 100 familles des enfants d’Israël… », soit une estimation de 500 à 600 âmes. Ces traces d’une présence juive de près de trois siècles nous incitent à affirmer que tous les juifs de Nabeul étaient d’origine extérieure à la ville et qu’il n’y a pas de juifs nabeuliens dont la présence des ancêtres remonte à la période de la création de la ville. Tout ce qui précède nous permet d’affirmer avec certitude qu’il s’agit d’une migration de population juive venue à Nabeul d’ailleurs.
10 Taïeb J., Sociétés juives …, op. cit., p. 85. « …Avec l’établissement du protectorat français en Tu (...)
11 Taïeb J., op. cit., p. 78.
10Les juifs de Nabeul sont venus du sud de la Tunisie, surtout de Djerba, en nombre important ; du nord, surtout de Tunis et de l’étranger, principalement de Libye et d’Algérie10. Ils sont arrivés par flux migratoires de différents horizons, tout au long des années, attirés par la possibilité d’avoir un gagne-pain11, par la proximité de la capitale et par la réputation de son air pur embaumé par les vergers qui l’entourent.
11Cependant, la présente étude va privilégier le dernier siècle de la présence juive dans la ville, c’est-à-dire à partir du début du XIXe, soit près d’un demi-siècle avant le début du protectorat français en Tunisie.
12 Ce chiffre représente le nombre maximal de juifs qui ont vécu à Nabeul entre 1946 et 1948. Cette pé (...)
12Il y avait à Nabeul au milieu du XXe siècle près de 3 500 juifs12 pour une population totale d’un peu plus de 12 000 habitants, soit une présence juive de 25 à 30 %, ce qui veut dire qu’un Nabeulien sur quatre, voire un sur trois, était juif.
13 Il est important de signaler qu’à ces époques lointaines des XVIIIe et XIXe siècle, les moyens de t (...)
14 Un surnom au nom, qui était un « complément » adjoint au nom de famille, comme par exemple « El-Mok (...)
13Ainsi, les recherches effectuées sur la communauté ont permis la reconstitution des arbres généalogiques des familles juives de la ville. Ces familles vivaient quasiment en vase clos13. Leurs membres se mariaient le plus souvent entre eux et l’apport de nouveaux noms de familles de personnes venues de l’extérieur de la ville, était très réduit. Aussi, chaque nouveau nom qui venait s’ajouter à ceux de la ville était celui d’un individu précis et facilement repérable généalogiquement, qui deviendra l’ancêtre unique venu de l’extérieur s’installer à Nabeul, dont la descendance sera considérée comme nabeulienne. Cet ancêtre apportait avec lui un nom, mais aussi, souvent, un ou des prénoms qui étaient particulièrement fréquents dans la région ou le pays d’origine, ce qui provoquait parfois aussi la création d’un surnom14 dont l’étymologie était en rapport avec le lieu de naissance de la personne ou de son ancêtre qui immigra à Nabeul.
15 Hayoun V., « Jewish Names Surnames and Nicknames of Nabeul Tunisia » [« Les noms les prénoms et les (...)
14C’est ainsi que la recherche généalogique nous a aussi donné l’occasion de nous attarder sur l’étude onomastique15 des noms de familles, des prénoms et des surnoms dans cette communauté.
15La généalogie peut se baser sur des données de registres de naissances, mariages et décès, ou de témoignages oraux ou écrits. Dans le cas de Nabeul, nous n’avons pas de registres communautaires. Aussi, notre travail repose uniquement sur des documents et des témoignages oraux. Cependant, dans les limites de ce dont nous disposons, nous savons que, d’une part, nous n’avons pas la facile accessibilité aux données sur les dates, les lieux, les filiations, les liens de mariages, les noms de famille et les prénoms, que nous auraient procurés les registres, mais, d’autre part, les documents et les témoignages oraux que nous avons accumulés, nous donnent de nombreux détails sur l’histoire de ces familles, de leur entourage et de leur communauté, alors que les registres auraient été très peu explicites sur le récit de la vie de ces familles.
16Il nous faut rappeler un détail très important. Ces pays du Maghreb, auxquels nous faisons référence tout au long de ce document, n’avaient sans doute pas les frontières que nous leur connaissons aujourd’hui. Ainsi, à chaque fois que nous ferons allusion à une migration en rapport avec le Maghreb et/ou à un des pays qui le composent, nous citerons les noms des pays actuels : Maroc, Algérie, Tunisie, Libye, afin de faciliter l’identification géographique des lieux de migrations, quelle que soit la période dans l’histoire. Ainsi, quand, par exemple, nous rappellerons une migration d’Algérie au XVIIIe siècle, nous dirons que c’est une migration d’un pays étranger à la Tunisie, sans rappeler que nous nous trouvons dans un même espace ottoman, car en fait c’est une migration qui vient d’une contrée voisine qui deviendra l’Algérie et qui, par endroit, n’avait pas de frontières du tout avec la Tunisie.
Les noms dans la communauté
16 Ce travail de reconstitution généalogique communautaire a commencé au début des années 1980.
17 Voir en « annexe A », la liste des noms de familles des juifs de Nabeul. Dans cette liste, chacun d (...)
18 Sur l’index du logiciel que nous utilisons : “Family Tree Maker” (Deluxe Edition III, version 4 du (...)
19 Ces noms ont été découverts lors d’une recherche effectuée dans le cimetière juif de Nabeul. Ce tra (...)
20 La région de Nabeul, qui est connue pour son « bon air », a souvent été recommandée comme lieu de c (...)
17Cette reconstitution généalogique communautaire16 a permis de créer, au fur et à mesure, une liste de plus en plus précise, des noms de familles17 qui ont existé à Nabeul. Celle-ci compte près de 40 noms de famille qui ont été répertoriés sur la base de données18 de la généalogie des juifs de cette ville. Ces noms de famille ont, en fait, « laissé des traces » dans la communauté, par des mariages, des naissances et des décès. Il faut, cependant, y ajouter près de 15 noms de familles qui ne sont pas reconnus comme appartenant à la communauté, mais qui ont été relevés19 sur les pierres tombales du cimetière juif de la ville. Ces noms sont ceux de gens étrangers à la ville ; ceux de personnes décédées en étant de passage à Nabeul, ou alors ceux de vieilles femmes d’origine nabeulienne, qui, après le décès de leurs époux qui n’étaient pas originaires de Nabeul, sont revenues finir leurs jours auprès de leur famille, ou encore ceux de personnes malades qui y décédèrent, alors qu’elles y étaient venues en convalescence pour profiter du « bon air »20 de la région.
18En travaillant sur la reconstitution généalogique de la communauté, nous avons entrepris plusieurs études parallèles sur la présence de certains noms de familles juives nabeuliennes que l’on retrouvait aussi, parfois même fréquemment, ailleurs.
19Ainsi, par exemple, il y avait à Nabeul de très grandes familles dont la descendance est très nombreuse et dont les premiers ancêtres étaient venus de Djerba, de Tunis ou d’ailleurs.
20Par exemple :
– Les Haddad se trouvaient quasiment dans toute la Tunisie, surtout à Djerba et à Nabeul, mais il y en avait aussi à Tunis, à Sfax et ailleurs.
– Les Guez se trouvaient surtout à Tunis et à Nabeul, mais aussi à Sousse et à Sfax.
– Les Hayoun de Tunisie étaient originaires principalement de Nabeul, de Béja ou du Kef, et ceux de Tunis venaient toujours de l’une de ces trois villes.
21C’est ainsi que tous les autres noms juifs qui existaient à Nabeul ont été vérifiés. Et au fur et à mesure de l’accumulation des données généalogiques, des vérifications ont été effectuées ailleurs, dans d’autres villes, et les fréquences de l’apparition de différents noms étaient relevées, surtout en Tunisie. Cependant, ce qui a surtout attiré mon attention, ce sont ces noms qui apparaissaient sous la même forme, ou parfois avec une légère modification d’orthographe ou de prononciation, en dehors de la Tunisie. Ainsi :
– Les Guez que l’on trouvait à Bône-Annaba en Algérie ou les Guedj dans le Constantinois.
– Les Boujenah que l’on retrouve à Alger au XIXe siècle.
– Ou encore, les Gaziel en Libye.
22Ces compléments de recherches onomastiques qui touchaient d’ailleurs aussi les prénoms nous ont permis une approche particulière du suivi des migrations qu’ont effectuées certains chefs de familles avant de s’implanter à Nabeul, d’y fonder un foyer et de laisser les premières traces de leur nom patronymique. Noms qui allaient s’ajouter à la liste des plus anciens, arrivés de migrations précédentes, qui avaient fondé et créé cette jeune communauté juive, depuis le XVIIe siècle.
21 Leur intégration était constatée au niveau de leur comportement, leur langage, leurs vêtements, leu (...)
23Initialement, au début de nos recherches, nous considérions ces gens et leurs noms comme étant ceux de cette communauté, tout comme d’ailleurs tous les autres juifs qui en faisaient partie. Et ce n’est qu’après avoir fait des recherches avancées que nous nous sommes rendus compte que ces mêmes gens, qui en fait étaient venus d’ailleurs, s’étaient si bien intégrés, sur tous les plans21, qu’ils étaient considérés par tous comme des juifs nabeuliens sans aucune particularité quant à leur origine. Mais, en progressant et en interviewant leurs descendants ou en trouvant des documents d’archives qui précisaient leurs origines ou parfois leurs nationalités, nous avons découvert d’où ils venaient vraiment. C’est ainsi que ma liste de noms venus à Nabeul de l’étranger se divisa en deux catégories :
– Ceux dont nous avions la certitude qu’ils venaient de pays étrangers à la Tunisie sont au nombre de 9 : Chiche, Elmouchninou, Galamidi, Gaziel, Kakou, Karila, Piperno, Saïd, Sportès.
– De plus, on compte 11 noms dont l’origine extérieure à la Tunisie est probable mais moins certaine : Ariss/Arich, Boujenah’, Fertoukh/Partouche, Guez, Sarfati, Seror, Soufir, Taieb, Tébéka, Temam, Uzan.
24Ainsi, la moitié des noms patronymiques juifs de Nabeul seraient d’origine étrangère à la Tunisie ou, tout au moins, d’une probable origine étrangère. Dans la liste de la totalité des noms patronymiques des familles juives de Nabeul en annexe A, nous pouvons voir le détail des 20 autres noms de la communauté et constater qu’aucun de ces noms n’est spécifique à Nabeul et qu’on les retrouve dans, au moins, un autre pays ou ville de Tunisie. Ceci est un indice supplémentaire qui nous permet de confirmer que cette communauté est le fruit d’une suite de migrations juives venues à Nabeul d’ailleurs.
Les noms certainement d’origine étrangère
25L’arrivée de ces immigrants venus à Nabeul de l’étranger nous incitent à nous attarder sur ces cas et à les étudier pour identifier les raisons de leur mobilité. On pensera tout de suite à des mouvements à contextes tragiques, tels que des persécutions, des expulsions, des fuites en masse de zones sous épidémies ou de graves problèmes de famine incitant à chercher le pain quotidien sous d’autres cieux maghrébins.
26Mais en fait, nous nous sommes rapidement rendu compte que les cas de migration étudiés dans le cadre de cette communauté, ne font pas partie de ce type de mouvements de masse.
27D’ailleurs, les études généalogiques et onomastiques que nous avons effectuées nous permettent de confirmer que nous avons là un microcosme des mouvements migratoires, aux raisons multiples, très souvent individuelles et ponctuelles, qui se sont, en réalité, réalisés pendant des siècles dans le Maghreb tout entier. Ainsi, il y avait :
– Ceux qui se déplaçaient d’une ville à une autre, à l’intérieur du même pays.
– Ceux qui se déplaçaient d’un pays à l’autre dans le Maghreb.
– Ceux qui migraient de l’extérieur vers le Maghreb.
28Le sujet qui nous préoccupe étant « les migrations juives dans le Maghreb », nous allons nous y attarder avec l’aide de l’étude onomastique détaillée des noms de la communauté. Nous commencerons par le rappel de ces noms et de leurs origines, et nous conclurons par une analyse des circonstances qui ont créé ces migrations.
29Voici les neuf noms de famille juifs de Nabeul qui sont certainement d’origine étrangère à la Tunisie. Ils sont présentés par ordre alphabétique, d’abord ceux venus de l’extérieur du Maghreb, ensuite celui qui était venu de Libye et enfin ceux venus d’Algérie. Chaque nom sera suivi de quelques détails ayant trait à ses origines géographiques, son ancienneté dans la communauté et parfois aussi les circonstances qui ont amené le premier du nom à Nabeul.
30Nous avons trois noms dont l’origine est extérieure au Maghreb.
31Galamidi
Ils sont certainement arrivés d’Orient, car l’étymologie du nom se réfère à leur ville d’origine : Kalamata en Grèce. Aussi, il se pourrait que ce nom soit originaire des Balkans. On trouve des Galimidi à Jérusalem, en Égypte et en Turquie. Les seuls Galamidi de Tunisie se trouvent à Nabeul, aussi pourraient-ils être les descendants d’un rabbin qui serait venu de Terre sainte pour collecter des fonds auprès de la communauté, se serait installé à Nabeul et y aurait fondé une famille. Ce genre de visite de Chaliah’ Kolel, qui sont des rabbins collecteurs de fonds pour des institutions juives de Terre sainte (des Yechivot, des orphelinats ou des hôpitaux), était très courant au XIXe siècle. Ils exerçaient généralement dans toutes les communautés juives de la diaspora, mais aussi auprès des communautés juives en terre d’islam et en Afrique du Nord en particulier. Cette possibilité est probable puisque le nom est présent à Jérusalem et au Proche-Orient. Cependant, il pourrait aussi s’agir d’un juif de Turquie arrivé en Tunisie pendant la période ottomane, car l’ancienneté de la famille à Nabeul serait de la seconde moitié du XIXe siècle.
22 V. Hayoun, « Mishpah’at Karila Mi-Nabeul - Historia Mishpah’tit Kehilatit » [« La famille Karila de (...)
32Karila22
La famille Karila était une famille de notables influente et reconnue à Nabeul. Elle était issue de la communauté séfarade de Vienne en Autriche. C’est de là que Moché-Shabtaï immigra à Jérusalem d’où son fils, Rabbi Yossef Karila, fut envoyé en Tunisie en tant qu’émissaire collecteur de dons dans la première moitié du XIXe siècle. Vers 1835, il arriva à Nabeul, y épousa une fille d’un notable de la famille Guez et créa la branche Karila en Tunisie. Le nom Karila ne se trouve en Tunisie qu’à Nabeul, et ceux qui habitaient à Tunis et sa banlieue en étaient tous originaires. Entre 1898 et 1956, la famille comptait deux présidents de la communauté juive de la ville : le fils de Rabbi Yossef, Abraham Karila, et le petit-fils Mardochée Mordekhaï Karila, ainsi qu’un maire de Nabeul, l’arrière-petit-fils : Me Albert Karila. C’était une famille aisée qui avait une grande influence sur la communauté et entretenait aussi des relations très proches avec les autorités protectorales françaises. Quelques-uns des enfants Karila sont enregistrés comme étant nés à Souk-Ahras en Algérie, et certaines personnes qui avaient fait des recherches sur des personnalités membres de la famille avaient prétendu que les Karila étaient d’Algérie. Cette affirmation nous amena à faire une vérification, au bout de laquelle, il s’avéra que, pour bénéficier de l’application du décret Crémieux et avoir la nationalité française, quelques enfants de la famille avaient été enregistrés par l’état civil, très probablement grâce à des connaissances, comme s’ils étaient nés en Algérie. En fait, ils étaient tous nés en Tunisie et principalement à Nabeul.
33Piperno
La famille Piperno trouve ses origines en Italie, passa par Sousse, en Tunisie, et arriva à Nabeul à la suite de la mutation du père de famille Isaac Piperno, nommé directeur de banque au Crédit foncier à Nabeul. Elle y vécut de 1957 à 1961 et ne laissa aucune descendance, ni relation de mariage, ni sépulture dans le cimetière de la ville.
34Il y a ensuite ce nom qui est venu de Libye.
23 Ainsi, nous avons trouvé Xayèl dans une note manuscrite du contrôleur civil de Nabeul concernant le (...)
35Gaziel
Le nom existe sous différentes orthographes selon la langue et la prononciation. Il y a Gaziel ou Ghzaïel ou Ghezaïel ou Lèghzéïel ou Xayèl23. Ce nom de famille est très fréquent dans la communauté juive de Libye.
Ainsi, effectivement, les Gaziel de Nabeul avaient quitté la Libye pour l’Italie. De là, une branche de la famille a migré en Tunisie et s’est installée à Moknine, une petite ville près de Sousse. Mais ce n’est qu’au début du XIXe siècle qu’ils sont venus à Nabeul. À leur arrivée en ville, on les surnomma Dar-El-Mokni (la famille de celui qui vient de Moknine).
36Les cinq autres noms sont arrivés d’Algérie. Les Elmouchninou, les Chiche, les Saïd et les Sportès étaient originaires d’Oran et de sa région, et s’installèrent à Nabeul tout au long du XIXe siècle.
24 Témoignage oral du rabbin Rebbi Yossef Elmouchninou, fils de Rebbi Eliahou de Nabeul, enregistré à (...)
25 Rebbi est la prononciation judéo-arabe du titre de rabbin en hébreu qui se dit « Rabbi ». En fait, (...)
26 Ce mot arabe, qui veut dire classe d’études religieuses, a été emprunté par les juifs dans leur lan (...)
27 Almoslinos voudrait peut-être dire en espagnol « les enfants de Moché ». Mais il y aurait deux autr (...)
37Elmouchninou
Les Elmouchninou sont fort probablement originaires d’Oran24. Le père de Ben-Tsion Elmouchninou vint s’installer à Nabeul vers le milieu du XIXe siècle et s’y maria. Il devint le père fondateur d’une descendance dont quatre générations naquirent à Nabeul avant de quitter la ville pour s’installer en Israël.
Le membre de la famille qui était le plus connu, considéré, respecté et très aimé dans la communauté, était son petit-fils, Rebbi25 Eliahou Elmouchninou, qui enseignait au Keutèb26.
Le nom existe sous différentes orthographes à la suite des modifications dues à sa prononciation par des populations de différentes langues : Elmouchninou, Almouchninou, Almochnino, Almosnino ou Almoslinos27.
28 Samuel Chiche en français.
38Chiche
Les Chiche sont aussi originaires de l’Oranie en Algérie. Chmouèl Chiche28, originaire de Tlemcen, était le premier ancêtre qui s’installa à Nabeul au XIXe siècle. On les surnommait Dar-El-Ghraba, c’est-à-dire la famille de ceux qui viennent de l’Ouest. Il y avait probablement deux ancêtres distincts (ou plus) à l’origine des familles Chiche qui vivaient à Nabeul. Il se pourrait que ce nom soit une réduction du nom Chicheportiche qui est aussi d’origine de l’Oranie [voir le nom Sportès ci-après].
39Saïd
Les Saïd étaient appelés, selon la prononciation des Nabeuliens, Ch-a’ïèd. Les Saïd sont eux aussi originaires d’Oran. Ils sont issus d’un ancêtre unique qui s’installa à Nabeul au tout début du XIXe siècle. Ce nom arabe, Saïd, qui a le sens de « fortuné » ou « heureux », existe en prénom masculin chez les musulmans et fut transformé en patronyme. Chez les juifs, Saïd et son diminutif, Saïdou, font usage de prénom masculin.
29 Les juifs de Tunisie, en général, et ceux de Nabeul, en particulier, portaient quasiment toujours d (...)
40Sportès
Leur nom était Sportès mais selon la prononciation judéo-arabe des Nabeuliens on les appelait Chpourtiche. C’était le nom d’un ancêtre unique qui était arrivé d’Oran, à la fin du XIXe siècle, pour rendre visite à une parente qui habitait Nabeul. Il y a épousé une Nabeulienne, y a fondé une famille et s’y est installé. Il avait un café à Oran et il ouvrit à Nabeul le fameux Café Sportès [« Ka-houet Chpourtiche »] connu de tous les habitants de la ville. C’était une famille relativement réduite à Nabeul. Tous ses enfants ne portaient que des prénoms français29 et de mémoire de Nabeulien on ne parlait que le français chez eux à la maison. Les seuls Sportès qui vivaient en Tunisie étaient tous à Nabeul.
30 Le nom Sportès est le résultat d’une suite de transformations linguistiques qui ont commencé par la (...)
Il est à noter que ce nom a subi de nombreuses modifications orthographiques et linguistiques : depuis « Sasportas » en Espagne, Chicheportiche en Algérie, jusqu’à Sportès en Algérie et en Tunisie30.
31 L’histoire de la famille Kakou est le fruit du croisement de trois témoignages oraux, deux d’ancien (...)
41Kakou
Dans la chronologie des arrivées à Nabeul, c’est le dernier nom de famille dont le père fondateur était venu d’Algérie. Joseph Kakou était un jeune militaire qui servait dans un régiment de l’armée française en Tunisie au début des années 1940. Il était sous-officier dans une base militaire à proximité de Nabeul où il venait en visite régulièrement. C’est ainsi qu’il fit la connaissance de certaines familles juives de la ville et, parmi elles, la famille Valensi. Cette famille comptait, entre autres enfants, une jeune fille prénommée Suzy qui était fiancée et qui allait se marier avec un jeune homme de la ville. Selon la coutume, la famille de la mariée avait promis un trousseau de linge de maison qui comptait, entre autres, une couverture très prisée en laine de Gafsa. À quelques jours du mariage, alors que tout avait été préparé, le futur mari refusa de se marier parce qu’il avait constaté qu’il manquait la couverture au trousseau qui avait été promis. C’est à ce moment que le jeune militaire Joseph Kakou vint, comme à l’accoutumée, rendre visite à la famille Valensi. Il rencontra le père de l’ex-future mariée qui lui raconta ce qui s’était passé et conclut en ces mots : « Tout est prêt, et celui qui voudra épouser ma fille pourra le faire immédiatement. » Joseph Kakou qui connaissait la jeune fille mais qui avait toujours pris garde de lui manquer de respect, la sachant fiancée, saisit l’occasion et se proposa de l’épouser sans attendre. C’est ainsi que Joseph Kakou et Suzy Valensi se marièrent, habitèrent à Nabeul et y eurent des enfants, parmi lesquels le célèbre humoriste français des années 1990, le défunt Élie Kakou (1960-1999). Ce nom n’existe nulle part ailleurs en Tunisie et les enfants de Joseph Kakou sont les seuls descendants Kakou nabeuliens31.
42Chez ces familles qui furent fondées par des ancêtres émigrés originaires d’Algérie qui s’installèrent à Nabeul au XIXe et au XXe siècle, il n’y avait pas d’homogénéité quant à leur apport culturel, linguistique ou autre, à Nabeul. Si la famille Sportès et la famille Kakou, qui était plus récente à Nabeul, gardèrent quelques signes de culture française, en revanche, chez les Chiche, il restait le surnom « Dar-El-Ghraba » indicateur de leur origine ouest-maghrébine, alors que chez les Elmouchninou et les Saïd, il ne resta quasiment aucune trace de leur passé Oranais, à l’exception de leur nom de famille qu’ils laissèrent à leur descendance.
43Ainsi, après avoir traité des noms de famille qui nous ont révélé l’arrivée à Nabeul de personnes qui sont certainement d’origine étrangère à la Tunisie, nous allons voir rapidement ceux dont l’origine extérieure à la Tunisie est probable mais moins certaine.
32 Chaque nom de famille est suivi de la 1re lettre du pays dont il serait probablement originaire, ou (...)
44On en compte onze et en voici le détail32 :
Ariss/Arich [A] – La famille Ariss est probablement d’origine algérienne mais avant de s’installer à Nabeul, il est aussi fort probable qu’elle soit passée par la ville de Bizerte en Tunisie, car l’ancêtre le plus ancien avait le surnom de El-Benzarti qui veut dire le Bizertin.
Boujenah’ [A] – Il est à signaler que l’un des riches notables d’Alger, lors du début de la présence française en Algérie au XIXe siècle, était un Boujenah. Venait-il de Tunisie ? Ou alors était-il apparenté à l’un des ancêtres Boujenah de Tunisie qui serait arrivé d’Algérie ?
Fertoukh/Partouche [M][A] – Nous savons que la famille Fertoukh de Nabeul avait ses origines à Gabès dans le Sud tunisien, mais nous savons aussi que le nom Fertoukh et sa version probablement francisée, Partouche, se trouve aussi au Maroc et en Algérie. Le Nabeulien serait-il issu d’un ancêtre arrivé à Gabès depuis l’ouest du Maghreb ?
Guez [A] – Les différentes orthographes du nom en hébreu, en judéo-arabe et en français se trouvent surtout en Tunisie depuis Tunis au nord jusqu’à Sfax au sud, en passant par Nabeul et Sousse, mais il y a aussi des Guez à Bône-Annaba et aussi et surtout des Guedj à Constantine, cette orthographe étant consacrée à cette dernière ville uniquement. Dans ce cas, il semblerait que le mouvement ait été de la Tunisie vers l’Algérie.
Sarfati [M][A] – Les Sarfati de Nabeul sont arrivés de Tunis à la fin du XIXe ou au début du XXe siècle. Ce nom est très fréquent dans toute l’Afrique du Nord, au Maroc, en Algérie et en Tunisie.
Seror [M][A][L] – Les Seror de Nabeul y arrivèrent probablement à la fin du XIXe siècle et leur origine serait du Sud tunisien. Ce nom et ses différentes orthographes principalement dues aux transcriptions arabes et françaises (ou italiennes en Libye) se trouvent en Tunisie et en Libye, mais aussi en Algérie et au Maroc où nous trouvons Abisseror et Bisraor (qui veut dire « fils de Seror »).
Soufir [A][L] – Ce nom se trouve dans le Constantinois algérien, en Libye et en Tunisie. Ceux de Nabeul s’y sont installés à la fin du XIXe siècle et arrivèrent probablement de Djerba.
Taïeb [A] – Ils seraient fort probablement originaires de Tunis et s’installèrent à Nabeul vers le milieu du XIXe siècle. Nous trouvons des Taïeb en Algérie qui sont fort probablement d’origine tunisienne.
Tébéka [A][L] – Nous ne savons pas d’où viennent les Tébéka qui s’installèrent à Nabeul au début du XIXe siècle. Nous trouvons des Tebeka en Tunisie, des Tibika en Algérie qui sont très probablement venus de Tunisie, et des Boutbika en Libye.
Temam [L] – Les Temam de Nabeul seraient originaires de 2 ou 3 ancêtres distincts qui seraient originaires de Tunis et du Sud tunisien. Ils arrivèrent à Nabeul dans le milieu du XIXe siècle. On en trouve aussi en Libye mais il serait fort possible qu’ils y arrivèrent du sud de la Tunisie.
Uzan [A] – Les familles Uzan de Nabeul sont nombreuses et seraient probablement arrivées de Tunis, de Sousse ou de Moknine. Ils seraient à Nabeul depuis le début du XIXe siècle. Nous trouvons la famille Ouzène à Constantine. Ils seraient arrivés probablement de Tunisie et la différence d’orthographe proviendrait de la transcription en français, peut-être par un officier d’état civil, du nom Uzan prononcé avec l’accent judéo-arabe.
45Pour conclure, voici une rapide analyse statistique sur l’éventuelle appartenance géographique de ces onze noms dont l’origine extérieure à la Tunisie est moins certaine :
– noms seraient originaires d’Algérie : Ariss/Arich, Boujenah’, Guez, Taieb, Uzan.
– noms viendraient d’Algérie ou de Lybie : Soufir, Tébéka.
– nom qui serait originaire du Maroc, d’Algérie ou de Libye : Seror.
– noms seraient originaires du Maroc ou d’Algérie : Fertoukh/Partouche, Sarfati.
– nom originaire de Libye : Temam.
46Nous devons toutefois noter deux carences dues à l’utilisation de la généalogie et de l’onomastique en tant que sources, qu’elles se référent à des registres ou à des témoignages oraux :
– La première est qu’il est relativement simple de cerner les mouvements d’entrées de personnes dans un lieu géographique mais il est beaucoup plus compliqué, voire quasiment impossible, d’en noter les sorties.
– Quant à la seconde, en voici le détail. Tous les mouvements migratoires que nous avons détaillés dans cette communication, nous les devons à la mémoire des personnes interrogées qui nous ont laissé des témoignages oraux. Quand nous les avions questionnés à propos de l’origine de leur nom, nous avions découvert qu’un de leurs aïeux était arrivé de tel ou tel pays, et un petit calcul arithmétique des âges et des générations nous ont permis de situer leur arrivée à Nabeul dans une période et un siècle. Ainsi, nous avions commencé par un nom et nous sommes arrivés à un ancêtre arrivé d’ailleurs en un temps plus ou moins précis. Mais en fait, lors de la saisie des paramètres généalogiques issus de ces interviews, nous avons certainement perdu des informations très importantes sur des épouses d’ancêtres qui seraient
elles aussi venues de l’extérieur, voire de l’étranger. Contrairement aux hommes qui gardent leur nom et le transmettent, les femmes qui, dans la généalogie, ont le statut de filles ou de conjointes, perdent leur nom de jeune fille dès leur mariage et, ainsi, nous perdons le fil conducteur qui nous aurait donné la possibilité d’enregistrer des migrations de femmes dans la communauté.
47Pour ce qui est des prénoms, nous nous sommes posés la question suivante :
Y avait-il une particularité dans les prénoms des immigrants ? La réponse est non. Parmi les personnes arrivées à Nabeul dont les noms attestent qu’ils venaient de l’étranger, la plupart sont venues au cours du XIXe siècle, à l’exception des Kakou. Or, durant cette période, les juifs portaient, en Orient et en Afrique du Nord, des prénoms bibliques, que l’on retrouvait en fait chez tous les juifs nabeuliens, quelle que soit l’origine de leurs ancêtres, même chez ceux qui étaient arrivés d’Algérie, premier pays à être colonisé par la France en 1830.
48Autrement dit, l’étude des prénoms, auprès des membres des familles arrivées de l’extérieur de la Tunisie, ne nous apporte pas ou peu d’indices sur l’histoire de leurs migrations.
49En revanche, nous avons constaté que, parmi les surnoms, certains sont révélateurs de migrations et porteurs d’informations quant à l’origine des familles concernées. Voici les surnoms que nous avons retenus :
50Dar-El-Ghraba
C’est-à-dire la famille de ceux qui viennent de l’ouest, gharb en arabe, de même racine que le mot « Maghreb ». C’est le surnom qui fut donné à la famille Chiche dont le premier ancêtre Chmouèl Chiche qui s’installa à Nabeul était originaire de Tlemcen. En fait, la famille Chiche a ses racines à l’ouest de la Tunisie, en Algérie et, bien avant, en Espagne.
51Dar-El-Mokni
C’est-à-dire la famille de celui qui vient de Moknine (Mokni veut dire « originaire de Moknine »). Les Gaziel de Nabeul étaient surnommés Dar-El-Mokni car leur ancêtre était venu à Nabeul de Moknine, ville du Sahel tunisien près de Sousse. Il est tout de même important de signaler que ce surnom ne rappelle pas les origines libyenne et ensuite italienne de cette même famille.
52Dar-el-Jerbi
C’est-à-dire la famille de celui qui vient de Djerba (Jerbi : « originaire de Djerba »). Il y avait plusieurs familles Cohen à Nabeul et elles n’avaient pas toujours de liens familiaux qui les reliaient, malgré leur nom commun. Cependant, l’un des membres d’une de ces familles avait un surnom, il habitait l’impasse Karila et s’appelait Simon Cohen, mais tout le monde l’appelait « Chemou’ne E-jerbi » (Simon le Djerbien) parce qu’il venait de Djerba.
Conclusion
53La reconstitution généalogique de ces familles dont l’un des pères avait immigré à Nabeul et l’étude approfondie de l’onomastique des différents noms de familles de la communauté nous ont aidés à identifier les origines et détailler les mouvements migratoires des personnes qui sont arrivées à Nabeul, y ont fondé une famille et ont eu de multiples descendances du même nom.
54L’une des premières constatations a été que ces gens venus d’Algérie, de Libye ou d’ailleurs, ne sont pas arrivés en groupe. Ils sont arrivés à Nabeul, seuls, à des époques diverses et aussi, fort probablement, pour des raisons personnelles spécifiques, différentes les unes des autres. Nous voulions découvrir l’existence d’éventuels mouvements migratoires aux tendances précises, mais nous avons constaté que ces migrations étaient des actes individuels et ponctuels et n’étaient pas le résultat d’événements tragiques, ni de persécutions, ni d’expulsions, ni la conséquence d’un mouvement de masse.
55En fait, nous avons constaté que le juif nabeulien « de souche » n’existe pas. Ces personnes venues d’ailleurs qui s’installèrent dans cette ville ont dû certainement apporter avec elles des particularités qui auraient pu les identifier à leur ville d’origine, mais, à Nabeul, il n’en était rien. Dans cette communauté juive, vieille seulement de trois siècles, et composée d’immigrants venus de tout horizon, il n’y a quasiment pas de traces des caractéristiques qui les identifient à leurs villes d’origine. On n’y trouve pas plus de traces de culture djerbienne que libyenne ou algérienne. En fait, tous les membres de la communauté se sont pratiquement « mis au diapason » de Tunis, la proche capitale. Ces gens ont migré mais ils n’ont pas gardé le bagage culturel de leur pays ni de leur ville d’origine. Il n’est resté que leur nom de famille.
56Ils se sont tous intégrés au groupe local qui les a accueillis. Et, sur le plan cultuel, tous vivaient leur judaïté de manière égale, avec tout au plus, peut-être, un brin d’accent de culture française plus important chez ceux qui étaient originaires d’Algérie.
57Ces migrations que nous avons découvertes surtout grâce aux témoignages oraux nous permettent d’affirmer que l’arrivée de ces gens n’a rien changé, ni à la modernité dans la vie de la communauté qui était surtout une conséquence de la colonisation, ni d’ailleurs sur la cohabitation et les relations judéo-arabes dans la ville et dans la vie quotidienne du voisinage et du travail, qui ont toujours existé et qui n’ont nullement été influencées par ces migrations individuelles.
58Cette communication sur l’utilisation de la généalogie et de l’onomastique comme outils dans la recherche de l’histoire des migrations nous a permis de constater aussi que ces sources peuvent nous donner de réels éclairages sur l’histoire d’une communauté, mais elles présentent deux imperfections majeures et évidentes quand nous les utilisons pour reconstituer l’histoire des migrations. La première est que la généalogie et l’onomastique nous informent avec plus de précisions, sur l’arrivée que sur le départ d’une personne dans une communauté, et la seconde est que la femme ne conservant pas son nom de jeune fille perd, pour la généalogie, ce fil conducteur et nous prive d’informations importantes dues à l’arrivée d’une femme dans la communauté.
59Il est important de signaler que la recherche sur les migrations internes dans le Maghreb, en général, et en Tunisie, en particulier, est quasiment inexistante. Par ailleurs, ces migrations étant difficiles à cerner, nous devons considérer très sérieusement l’utilisation de la généalogie, comme source et méthode incontournables pour la recherche historique, dans le traitement de ce sujet quelque peu délaissé.
Bibliographie
Benjamin II [Israël de Yossef Benjamin], Massaé’ Israël [Les Voyages d’Israël [Benjamin]], 1859 in Les Cahiers de Tunisie - VII, 1959, p. 111 et 112.
Maurice Eisenbeth, Les Juifs d’Afrique du Nord - Démographie et onomastique, Alger, 1936, 191 p.
Zied Garali, La population de Nabeul en 1885, recherche publiée sur le site www.nabeul.net, Extrait du rapport d’état-major de l’armée française concernant la population de Nabeul et son histoire, bobine M12 - Institut du mouvement national Manouba, Tunis, Tunisie.
Moché Haddad (de Rebbi Nechim), H’èn Tov Lé Maré Néféch [Bonne grâce pour âmes amères], Djerba, Y’dane Cohen et Tsabane, 1946, 188 p. (en hébreu).
— Ma’amar Esther [Article d’Esther], Djerba, Y’dane Cohen et Tsabane, 1946, 448 p. (en hébreu).
Benoît Hayoun, De Nabeul à Netanya – Histoire d’une vie, Netanya, édition à compte d’auteur, 1995, 160 p. (en hébreu et en français).
Monique Hayoun, Nabeul, in brochure annuelle de l’ATPJT (Association arts et traditions populaires des juifs de Tunisie), 1994, p. 21.
Victor Hayoun, collection privée, arbres généalogiques des familles juives de
Nabeul.
— Histoire de la communauté juive de Nabeul (Tunisie) par la généalogie, thèse de doctorat, Université Paris 8, 2006, 360 p.
— « Jewish Names Surnames and Nicknames of Nabeul Tunisia » [« Les noms les prénoms et les surnoms des juifs de Nabeul en Tunisie »], in Pleasant are their names - Jewish names in the Sephardi Diaspora [Agréables étaient leurs noms - Noms juifs dans la diaspora sépharade], Aaron Demsky (éd.), Bethesda Maryland USA, Édition Université de Maryland, 2010, 46/332 p. (en anglais).
— « Mishpah’at Karila Mi-Nabeul - Historia Mishpah’tit Kehilati t » [« La Famille Karila de Nabeul - Une histoire familiale et communautaire »], in Tarshish - Meh’karim be-yahadouth Tunisia ou-morashta [Tarshish - Recherches sur le Judaïsme de Tunisie et son patrimoine], Ephraïm Hazan et Haïm Saadoun (éd.), Ramat-Gan Israël, Édition Université Bar-Ilan, 2009, 17/382 p. (en hébreu).
Logiciel de généalogie, « Family Tree Maker », Deluxe Edition III, version 4 (1.1.1998), Broderbund, Californie, États-Unis.
Ouvrage collectif dirigé par Yéhia El-Ghoul, De Néapolis à Nabeul, Alif les éditions de la Méditerranée et Association de sauvegarde de la ville de Nabeul, Tunis/Nabeul, 2000, 152 p.
Paul Sebag, Les noms des juifs de Tunisie – Origines et Significations, Paris, L’Harmattan, 2002, 171 p.
Jacques Taïeb, Juif du Magreb – Noms de famille et société, Paris, Cercle de généalogie juive, 2004. 271 p.
— Sociétés juives du Maghreb moderne 1500-1900 - un monde en mouvement, Maisonneuve et Larose, Paris, octobre 2000, 123 p.
Yossef Tolédano, Séfèr Achémoth [Le Livre des noms] (en hébreu).
Annexes
Annexe A
Liste des noms de famille juifs de Nabeul
[Lieu/x d’origine outre Nabeul][différentes orthographes du nom][Signes particuliers]
Assous [Tunisie-Tunis/Djerba] [A’chouch]
Ankri [Tunisie-Tunis/Sfax] [Ankry] [pas de Nabeul - Tombe au cimetière]
Ariss [Tunisie-Tunis/Souk El Khemis] [Arich]
Achkenazi [Jérusalem] [Ashkenazi] [au cimetière / pas de descendance à Nabeul]
Berrebi [Tunisie-Tunis/Sfax/Sud-tunisien] [Berreby]
Bijaoui [Tunisie-Tunis] [Jaoui] [pas de Nabeul - Tombe au cimetière]
Bonan [Tunisie-Tunis]
Boni [Tunisie-Tunis/Sfax] [Bouni]
Boujnah [Tunisie-Tunis/Sousse//Algérie-Alger] [Boujnah’]
Chaouat [Tunisie-Sousse/Tunis]
Chiche [Algérie] [Chicheportiche/Sportès]
Cohen
Elmouchninou [Espagne/Algérie-Oran] [Almouchninou]
Fertoukh [Algérie-Oran]
Galamidi [~Grèce-Kalamata//Jérusalem/~Égypte/~Turquie] [Galimidi]
Gallula [Ghaloula] [pas de Nabeul - Pierres tombales cimetière]
Gaziel [Libye] [Ghzaïel/Ghezaïel/Lèghzéïel/Xayèl]
Guez [Tunisie-Tunis/Sfax/Sousse//Algérie-Bône/Constantine
[Ghez/Guiz/ El-Ghez/El-Guej/L-Guej/Guedj]
Haddad [Tunisie-Djerba/Tunis/Sfax//Maroc/Yémen/Irak] [El-Haddad]
Haouzi [Tunisie-Tunis] [H’aouji]
Hayoun [Bassin méditerranéen-Espagne/Maroc/Algérie/Tunisie-Beja/
Le-Kef/ Libye/Égypte/Jérusalem/Bulgarie]
[Hayon/Ohayon/Ayoun/Benhayoun/ Yaïche/Yah’ïa/Ben-Waïche/
Vital/Vidal/Bibas/…]
Kakou [Algérie-Oran]
Karila [Autriche-Vienne//Jérusalem/Tunisie-Nabeul]
Koskas [Tunisie-Tunis] [Coscas/Khoskhash]
Mamou [Maroc-Oujda/Tunisie-Djerba/Tunis] [Mamou Mani]
Parienti [péninsule Ibérique/Maroc/Tunisie] [Pariente/Barïnti]
Perez [Espagne/Maroc/Tunisie-Djerba/Sud tunisien/Sfax] [Birès]
Piperno [Italie/Tunisie-Sousse]
Saïd [Algérie-Oran] [Ch-a’ïèd]
Sarfati [Maroc/Algérie/Tunisie-Tunis]
Seror [Maroc/Algérie/Libye/Tunisie-Sud tunisien]
[Serror/Serour/Abisseror/ Abisror/Bisraor]
Sportès [Algérie-Oran] [Chpourtiche/Chichportiche]
Slama [Tunisie-Tunis//Égypte] [Chlama/Salama]
[Pas de Nabeul - R’ Yaacob Slama]
Soufir [Tunisie-Djerba/Sud tunisien//Libye/Algérie] [Sofér]
Taïeb [Tunisie-Tunis//Algérie-Bône]
Tayar [Tunisie-Tunis]
Tebeka [Algérie/Libye/Tunisie-Sud tunisien]
[Tbika/Tibika/Bou-Tbika/Boutbika]
Temam [Tunisie-Tunis/Sud tunisien//Libye]
[Temman/Tammam/Tamim/Temim/ Temime]
Tibi [Tunisie-Tunis]
Uzan [Tunisie-Djerba/Tunis/Sousse/Moknine] [Ouèjane]
Valensi [Tunisie-Tunis]
Témoignages oraux
Notes
1 La bases de données généalogiques que j’ai créée comporte plus de 4 500 noms d’individus et plus de 170 heures d’enregistrement de témoignages oraux effectués depuis 1982. Ces chiffres sont à jour au mois de mars 2011.
2 Nabeul se situe à 65 km au sud de Tunis, à l’entrée sud du cap Bon dont elle est le chef-lieu.
3 Depuis la moitié du XVIIe siècle jusqu’au début de la seconde moitié du XXe qui connut la fin de la présence juive à Nabeul.
4 Les sources essentielles qui nous permettent cette affirmation, sont les suivantes :
Haddad M., H’én Tov Lé Maré Néféch [Bonne grâce pour âmes amères], Djerba, Y’dane Cohen et Tsabane, 1946, en hébreu.
Hayoun V., Collection privée, Arbres Généalogiques des familles juives de Nabeul.
L’analyse des âges des personnes figurant dans les arbres généalogiques, et particulièrement dans la famille Haddad, nous instruit sur l’ancienneté de la communauté.
Taïeb J., Sociétés Juives du Maghreb Moderne 1500-1900 - un monde en mouvement, Maisonneuve et Larose, Paris, Octobre 2000, p. 77-80 et 114-119.
Dans son ouvrage, J. Taïeb détaille l’expansion démographique et économique en Tunisie et même en Afrique du Nord au XVIIIe siècle. Il y rappelle la création et le développement de la communauté juive de Nabeul.
5 Hayoun M., Nabeul, in brochure ATPJT, Paris, 1994, p. 21.
Monique Hayoun, nabeulienne de naissance, était secrétaire générale de l’association ATPJT [Arts et traditions populaires des juifs de Tunisie] créée et présidée par Bernard Allali. L’ATPJT a publié une brochure annuelle depuis 1991.
6 Garali Z., La population de Nabeul en 1885, recherche publiée sur le site www.nabeul.net, Extrait d’un rapport d’état-major de l’armée française concernant la population de Nabeul et son histoire, bobine M12 - Institut du mouvement national Manouba, Tunis, Tunisie [par le site www.nabeul.net].
7 Haddad M., H’én Tov, op. cit. Les Haddad de Nabeul sont arrivés de Djerba.
8 Ouvrage collectif dirigé par Yéhia El-Ghoul, De Néapolis à Nabeul, Alif les éditions de la Méditerranée et Association de sauvegarde de la ville de Nabeul, Tunis/Nabeul, 2000, p. 35. La taxe en 1756-1757 permit d’estimer cette communauté à environ 80 personnes. En 1859-1860, ce même impôt nous informe que cette communauté comptait près de 500 personnes, soit 10 % de la population de Nabeul ce qui était une minorité importante, car, à cette époque, la population juive totale de la Tunisie ne représentait que 3 % de la population du pays.
9 Benjamin II [Israël fils de Yossef Benjamin], Massaé’ Israël [Les Voyages d’Israël [Benjamin]], 1859 in Les Cahiers de Tunisie VII, 1959, p. 111 et 112.
10 Taïeb J., Sociétés juives …, op. cit., p. 85. « …Avec l’établissement du protectorat français en Tunisie, les flux, quelque peu, changèrent de sens, surtout en 1898-1899 lors de la crise antijuive en Algérie, qui poussa vers la Tunisie plusieurs centaines de familles… »
11 Taïeb J., op. cit., p. 78.
12 Ce chiffre représente le nombre maximal de juifs qui ont vécu à Nabeul entre 1946 et 1948. Cette période a connu l’apogée de la présence des juifs de toutes nationalités dans la ville : Tunisiens, Français, Italiens et autres.
13 Il est important de signaler qu’à ces époques lointaines des XVIIIe et XIXe siècle, les moyens de transport étaient réduits, les déplacements de 65 km jusqu’à Tunis étaient considérés comme une expédition à laquelle il fallait se préparer longtemps à l’avance. Ainsi la grande majorité des mariages se faisaient entre les enfants des familles de la ville. Le chemin de fer n’arriva à Nabeul qu’a la fin du XIXe siècle. À ce propos, Rebbi Moché de Rebbi Nessim Haddad avait écrit, dans son livre H’en Tov, op. cit., p. 2 à 4 au chapitre « Histoire du rabbin auteur du livre », sa rencontre avec Rebbi Moché Chemla de Sfax : « ...En 1900 vint par le chemin de fer, l’érudit en Torah, Rebbi Moché Chemla de Sfax, pour changer d’air car sa santé était fragile... »
14 Un surnom au nom, qui était un « complément » adjoint au nom de famille, comme par exemple « El-Mokni » [celui qui vient de Moknine] pour les membres de la famille Gaziel dont l’ancêtre était venu de Moknine, ou sinon, un surnom au prénom.
15 Hayoun V., « Jewish Names Surnames and Nicknames of Nabeul Tunisia » [« Les noms les prénoms et les surnoms des juifs de Nabeul en Tunisie »], in Pleasant are their names - Jewish names in the Sephardi Diaspora [Agréables étaient leurs noms - Noms juifs dans la diaspora sépharade], Aaron Demsky (éd.), Bethesda Maryland USA, Université de Maryland, 2010, p. 145-190 (en anglais).
16 Ce travail de reconstitution généalogique communautaire a commencé au début des années 1980.
17 Voir en « annexe A », la liste des noms de familles des juifs de Nabeul. Dans cette liste, chacun des noms est suivi par trois éléments d’information importants : le ou les lieux, pays et/ou villes, dans lesquels nous trouvons ce nom outre Nabeul, les différentes orthographes ou formes du nom et enfin, selon le cas, les signes particuliers.
18 Sur l’index du logiciel que nous utilisons : “Family Tree Maker” (Deluxe Edition III, version 4 du 1.1.1998), de Broderbund, Californie, États-Unis.
19 Ces noms ont été découverts lors d’une recherche effectuée dans le cimetière juif de Nabeul. Ce travail de base consistait à utiliser au mieux cette source d’informations complémentaires pour vérifier, certifier ou compléter des ascendances, des descendances ou des liens de mariage de personnes manquantes dans le puzzle généalogique, ou des personnes ayant les mêmes nom et prénom.
20 La région de Nabeul, qui est connue pour son « bon air », a souvent été recommandée comme lieu de convalescence aux personnes malades.
21 Leur intégration était constatée au niveau de leur comportement, leur langage, leurs vêtements, leur cuisine, leur culte, voire leur religiosité, qui n’étaient pas différents de ceux des autres juifs de la ville.
22 V. Hayoun, « Mishpah’at Karila Mi-Nabeul - Historia Mishpah’tit Kehilatit » [« La famille Karila de Nabeul - Une histoire familiale et communautaire »], in Tarshish - Meh’karim be-yahadouth Tunisia ou-morashta [Tarshish - Recherches sur le judaïsme de Tunisie et son patrimoine], Ephraïm Hazan et Haïm Saadoun (éd.), Ramat-Gan Israël, Université Bar-Ilan, 2009, p. 75-92 (en hébreu).
23 Ainsi, nous avons trouvé Xayèl dans une note manuscrite du contrôleur civil de Nabeul concernant les activités sionistes de Chalom fils de Freïja Ghzaïel.
24 Témoignage oral du rabbin Rebbi Yossef Elmouchninou, fils de Rebbi Eliahou de Nabeul, enregistré à Beith Chemech en Israël, en mai 1999.
25 Rebbi est la prononciation judéo-arabe du titre de rabbin en hébreu qui se dit « Rabbi ». En fait, « Rabbi » est la contraction de « Rav Chéli », en hébreu, qui veut dire « mon Rabbin » qui est une formule de politesse, comme on dirait en français « mon Général » ou « mon Père » pour le curé chez les chrétiens.
26 Ce mot arabe, qui veut dire classe d’études religieuses, a été emprunté par les juifs dans leur langage judéo-arabe pour désigner ces classes d’études bibliques qui se tenaient très souvent dans les synagogues et dans lesquelles des rabbins enseignaient l’hébreu et la religion aux élèves de tous les niveaux.
27 Almoslinos voudrait peut-être dire en espagnol « les enfants de Moché ». Mais il y aurait deux autres possibilités quant au sens étymologique de ce nom. Selon la première, le nom viendrait vraisemblablement de limosna, qui veut dire « aumône » en espagnol. Ainsi, le nom désigne peut-être un individu charitable et ce surnom serait probablement devenu patronyme. La seconde possibilité serait, aux dires du rabbin Rebbi Yossef Elmouchninou, fils de Rebbi Eliahou de Nabeul, une explication à contexte religieux à son nom de famille. En fait, ce serait une modification de l’hébreu El-Mochié’nou [l’Éternel notre Sauveur], car un de ses ancêtres serait tombé dans un puits et en aurait été sorti indemne par « miracle ». Il est à signaler que cette dernière possibilité est très peu probable et que sa crédibilité est pour le moins discutable.
28 Samuel Chiche en français.
29 Les juifs de Tunisie, en général, et ceux de Nabeul, en particulier, portaient quasiment toujours des prénoms hébraïques qui, sous l’influence du parler judéo-arabe, subirent des modifications linguistiques et sur cette base judéo-arabe furent créés aussi des diminutifs typiques à la communauté. Avec l’émancipation, en partie due à la présence française en Tunisie, les parents donnaient à leurs enfants deux prénoms, l’un en hébreu ou en judéo-arabe et le second en français. Une rapide analyse des prénoms existants dans la généalogie des familles nabeuliennes nous fait constater que les gens donnaient priorité aux prénoms hébreux ou judéo-arabes jusqu’au XIXe et aussi au début du XXe siècle, mais cette priorité passa graduellement aux prénoms français sous l’influence grandissante de l’implantation de la langue et de l’éducation françaises.
30 Le nom Sportès est le résultat d’une suite de transformations linguistiques qui ont commencé par la transformation du Sasportas espagnol [« les six portes »], en Chicheportiche, prononcé à la manière judéo-arabe et transcrit en français, que nous trouvons en Algérie. Le nom Chichportiche a connu, au fil du temps, une contraction et est devenu Chportiche en judéo-arabe courant, et de là, il est devenu Sportis ou Sportès quand il a été transcrit en français, probablement pour des besoins d’état civil.
Quant à la probable signification de ce nom Sasportas ou « les six portes », il pourrait être en rapport avec les juifs qui avaient pour fonction de fermer et d’ouvrir les portails des quartiers juifs qu’ils habitaient et qui leur était proprement destiné, et qu’ils devaient fermer tous les soirs à la tombée de la nuit.
31 L’histoire de la famille Kakou est le fruit du croisement de trois témoignages oraux, deux d’anciens Nabeuliens (qui ne sont pas parents) : Joseph Guez (6.2005 en Israël) et Clément Guez (10.2006 en Israël) et le troisième témoignage est celui de deux des filles de Joseph et Suzy Kakou : Nadine et Danièle (6.2009 à Nabeul).
32 Chaque nom de famille est suivi de la 1re lettre du pays dont il serait probablement originaire, outre la Tunisie : [M] pour Maroc, [A] pour Algérie et [L] pour Libye.
Auteur
Victor Hayoun
Institut de recherche AMIT [Association mondiale des israélites de Tunisie], Netanya