La gauche anti-immigration en Europe, par Daniel Pipes

La gauche anti-immigration en Europe
par Daniel Pipes
Washington Times 

Aux États-Unis, les libéraux sont, à quelques exceptions près, favorables à une forte immigration. La gauche américaine l'est encore davantage. Tous militent pour la suppression de l'Immigration Customs and Enforcement (ICE), l'agence américaine pour le contrôle des frontières, un combat symbolisé par le slogan « Abolish ICE ». Cependant, la situation en Europe peut laisser penser que cette quasi-unanimité pourra un jour voler en éclats.

Depuis la fin de la Seconde Guerre mondiale, la gauche européenne a considéré dans sa très grande majorité la liberté de circulation des travailleurs et l'immigration comme les meilleurs moyens pour défier les intérêts des entreprises. Selon les termes de l'écrivain progressiste David Adler (qui a publié un article « Meet Europe's Left Nationalists » auquel je me réfère ici), ces personnes « ont accéléré la marche de l'histoire et exacerbé les contradictions du capitalisme. »

Par conséquent, la gauche a contribué à la construction de l'Union européenne puis, en 1985, à l'approbation des Accords de Schengen qui ont pratiquement éliminé les frontières entre 26 pays européens, un ensemble peuplé de 400 millions d'habitants. Par ailleurs, la gauche a accueilli avec enthousiasme les non-Européens, une politique qui a connu son apogée en 2015-2016. À ce moment-là, Angela Merkel (une dirigeante de gauche déguisée en conservateur) a accepté l'entrée en Allemagne d'un million de migrants supplémentaires. Issus pour la plupart du Moyen-Orient, ces derniers ont bénéficié de la Willkommenskultur ou culture de l'accueil allemande.

Cette arrivée massive de migrants parmi lesquels des islamistes, a suscité une réaction au sein de la base historique de la gauche que sont les travailleurs. Ceux-ci ont été poussés à déserter la gauche pour rejoindre des partis encore marginaux il y a peu et opposés à l'islamisation et à l'immigration, les mouvements que j'appelle civilisationistes. Ces partis dont le programme allie avantages sociaux généreux et contrôles stricts aux frontières, gagnent du terrain partout en Europe tant et si bien qu'ils exercent actuellement le pouvoir effectif dans cinq gouvernements (en Pologne, en Tchéquie, en Hongrie, en Autriche et en Italie).

Les gens de gauche prennent de plus en plus conscience que le fait d'être élu nécessite d'effectuer ce qu'Adler appelle « un tournant mémorable », c'est-à-dire de tourner le dos à la fois au marché unique européen et à l'immigration extra-européenne. Ils ont récemment découvert que ces deux aspects « encouragent l'exploitation, sapent les fondements de la communauté et nient la souveraineté populaire. » Les nationalistes de gauche critiquent la libre circulation des travailleurs pour des raisons d'ordre à la fois économique (pertes d'emplois, réductions des salaires), culturel (perte de solidarité, xénophobie) et politique (le projet d'une élite qui ne bénéficie pas du soutien des masses).

Dans une volte-face surprenante, on considère désormais l'ouverture des frontières comme nuisible aux intérêts de la classe laborieuse et les contrôles stricts aux frontières comme une garantie des droits des travailleurs. Longtemps perçue comme un projet bourgeois, la nation est devenue le bouclier des travailleurs contre les périls de la mondialisation. Dans cet esprit, les dirigeants de gauche des trois pays européens les plus grands et les plus influents appellent à limiter la libre circulation des travailleurs.

Royaume-Uni. Jeremy Corbyn, chef du parti travailliste et de l'opposition et représentant de la gauche dure, déclare que « le Labour ne fait pas de la liberté de mouvement des citoyens européens une question de principe » et appelle à une « gestion raisonnable » de l'immigration selon les besoins de l'économie britannique au lendemain du Brexit. Sa collègue Diane Abbott le dit plus simplement : « Une véritable sécurité aux frontières... est ce pour quoi milite le Labour. »

France. Jean-Luc Mélenchon, président d'un parti populiste, La France insoumise, et figure de proue de la gauche, dénonce les employés détachés d'autres pays de l'Union européenne qui viennent « voler le pain » des travailleurs français. Il loue le drapeau et l'hymne national français (contrairement à ses homologues socialistes) dans lesquels il voit des « symboles révolutionnaires ». C'est là un retournement de situation prodigieux.

Allemagne. Sahra Wagenknecht, co-présidente du parti Die Linke (La Gauche), s'est exprimée contre l'accueil en 2015-2016, de plus d'un million de migrants, contre l'ouverture des frontières et contre l'octroi aux migrants d'un accès illimité au marché du travail allemand. Pour promouvoir ces idées, elle a fondé une organisation (Aufstehen, Levez-Vous) qui a touché une corde sensible puisque plus d'un Allemand sur trois serait prêt à soutenir cette approche musclée.

Bien entendu, la version nationaliste du socialisme n'est pas une idée neuve. Elle remonte à Benito Mussolini en Italie qui a répondu aux suites tumultueuses de la Première Guerre mondiale par une idéologie qu'il a appelée fascisme. Plus clairement, Adolf Hitler a pris la tête du parti national-socialiste des travailleurs allemands, autrement appelé parti nazi, pour conquérir le pouvoir absolu. Comme si elle rappelait ces monstres, la tendance actuelle rencontre de sévères critiques. Ainsi, Matt Qvortrup de l'Université de Coventry, désapprouve en la qualifiant de « mélange dangereux » la fusion opérée par Wagenknecht entre une politique anti-immigration et un programme économique populiste.

Pour ma part, je trouve au contraire que cette nouvelle formulation du nationalisme de gauche est encourageante : l'Europe, l'Amérique et l'Océanie ont besoin d'une Gauche et d'une Droite qui s'entendent sur la limitation de l'immigration non-occidentale massive qui menace de submerger voire d'éliminer la civilisation occidentale.

Adler observe qu'aux États-Unis, 40 % des Démocrates désirent une immigration encore plus importante qu'actuellement, contrairement aux électeurs du Labour au Royaume-Uni qui sont à peine 5 % à partager cette idée. La perte d'électeurs au sein de la gauche américaine va-t-elle provoquer elle aussi une prise de conscience en faveur d'une approche musclée qui permettrait à la gauche américaine de rejoindre ses homologues de l'Ancien Monde ? C'est possible.
 

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