Le Nageur, par Pierre Assouline

Lectures de Jean-Pierre Allali - Le Nageur, par Pierre Assouline

 

Quelle bonne idée que celle qu’a eue Pierre Assouline en nous proposant une biographie du grand nageur que fut Alfred Nakache. L’histoire si belle et, finalement, si dramatique du grand champion, méritait de nous être contée par le menu.

C’est en 1915, à Constantine, en Algérie, où vivent alors quelque dix mille Juifs, que le petit Alfred Fredj Nakache voit le jour, second d’une fratrie recomposée de onze enfants, cinq garçons et six filles. Son père, David, après le décès de sa femme, Julie Ammar, a épousé, en secondes noces, sa sœur, Rose. David Nakache est caissier principal au Crédit Municipal de la ville et la famille est très religieuse.  Alfred, qui est scolarisé au lycée Diderot, a, c’est étonnant, une peur panique de l’eau et est très réticent à nager.

Mais, à force de volonté, il va lutter contre sa phobie et, à seize ans, être sélectionné pour les championnats d’Afrique du Nord. Une première compétition et un ratage. « Nakache bono ». Il prendra sa revanche un peu plus tard à Philippeville en remportant un 400 mètres et une coupe de Noël. Sa carrière est lancée, sous la bienveillante autorité de l’entraîneur, Jean Taris. Il quitte l’Algérie pour Paris : lycée Jeanson-de-Sailly et Racing Club de France.

Nous sommes en 1933. Avec en tête les exploits du fameux Johnny Weissmuller, Tarzan, Nakache, surnommé désormais Artem, part à la conquête des titres. Au championnat de France du 100 mètre nage libre, il termine sixième et, à l’été 1934, il se qualifie pour la finale. C’est à cette époque qu’apparaît dans sa vie un adversaire qui sera aussi à la source de tous ses malheurs : Jacques Cartonnet. En 1935, il participe aux Maccabiades de Tel Aviv et, un an plus tard, le voilà à Berlin pour les Jeux Olympiques d’Hitler. Un comble ! Nakache, dit « L’Africain » ou « Le Tunisien », multiplie les prouesses. Avant d’être appelé sous les drapeaux, il épouse une nageuse, Paule, le 6 octobre 1937. Elle lui donnera une fille, Annie. En 1938, à 23 ans, Artem, devenu « nageur-Protée », est champion de France des 100 et 200 mètres nage libre, du 200 mètres brasse et des relais 4 fois 200 et 10 fois 100. Plus tard, il sera champion d’Europe et recordman du monde. Pendant l’occupation allemande, il est à Toulouse où il est proche des milieux de la Résistance. Ces années troubles lui vaudront de nombreux ennemis et de multiples dénonciations ; le 21 décembre 1943, il est arrêté ainsi que son épouse. 48 heures au siège de la Gestapo et un transfert à la prison Saint-Michel.

Puis ce sera Austerlitz et Drancy. Le 20 janvier 1944, les Nakache sont poussés dans le convoi numéro 66 à destination de nulle part : Pitchipoï-Auschwitz. Artem, devenu le matricule 172763, est employé à l’hôpital de Monowitz. C’est là qu’il rencontrera le champion de boxe juif tunisien Young Perez. Puis ce sera Buchenwald, la Marche de la Mort et le retour à Paris et Toulouse, après la défaite allemande. Si Nakache a réussi à revenir de l’enfer des camps, sa femme et sa fille y ont péri. Il soupçonnera toujours Cardonnet de les avoir dénoncés. « Si je le revois, je le tue » répéta-t-il jusqu’à la fin de ses jours. Il est mort en nageant en août 1983 et repose désormais à Sète. « L’eau l’a donné, l’eau l’a repris ».

Un très beau livre.

 

Jean-Pierre Allali

 

(*) Éditions Gallimard, mars 2023, 258 pages, 20 €

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