L’état des États-Unis, par David Bensoussan

L’état des États-Unis

 
David Bensoussan
Professeur de sciences à l'Université du Québec
 
POINT DE VUE / L’Amérique polarisée se divise en ceux qui prennent les mots de Trump à la lettre et qui ont un répertoire impressionnant dans lequel ils peuvent puiser et ceux qui les ignorent pour se concentrer sur ses actions en ignorant totalement son style impulsif, son narcissisme et sa hargne envers les médias.

Il est vrai que les déclarations intempestives du président Trump semblent caduques: le mur à la frontière mexicaine n’a pas été érigé, le Mexique n’est pas prêt à en supporter les coûts, l’assurance Obamacare n’a pas été abolie, l’Iran et la Corée du Nord continuent de développer leurs technologies et arsenaux militaires, l’accord commercial avec la Chine n’est pas conclu. Mais par ailleurs, certaines actions ont porté fruit.

Le contexte géopolitique

Lorsque l’empire soviétique fut démantelé en 1991, le Japon entrait dans une décade de stagnation économique, et l’Allemagne était préoccupée par la réunification allemande. Un boom technologique sans précédent et une croissance économique exemplaire confirmaient l’hégémonie américaine, compte non tenu du budget militaire américain supérieur à ceux des sept puissances militaires dominantes.

La Russie semblait plus faible que jamais, les puissances européennes désunies et peu d’experts avaient perçu à leur juste valeur la croissance économique chinoise et une série de problèmes nouveaux: la détérioration de l’environnement, les problèmes de cybersécurité, la récession de 2008, l’afflux des réfugiés afro-asiatiques en Europe, le retour de régimes autoritaires dans plusieurs pays et la pandémie actuelle.

Trump a choqué les pays européens, la Corée du Sud et le Japon en contestant leur contribution à la défense assumée essentiellement par les États-Unis. Ainsi et à titre d’exemple, l’Allemagne investit 1,25% de son PIB dans la défense, bien au-dessous de l’objectif de 2% de l’OTAN.

Relations avec la Chine et la Russie

L’alliance tactique russo-chinoise est passée presque inaperçue: en 1997, le président russe Boris Eltsine et le président chinois Jiang Zemin s’étaient engagés à promouvoir la multipolarisation du monde et l’instauration d’un nouvel ordre mondial. Et de par ce fait, les représentants russes et chinois au conseil de sécurité de l’ONU ont aligné leur vote et ont opposé leur véto en regard des sanctions contre la Syrie, le Venezuela et le Yémen. Par ailleurs, la Chine et les pays émergents du BRICS se sont abstenus de critiquer l’invasion de la Crimée par la Russie en 2014.

Les pays du Pacifique considèrent avec inquiétude l’affirmation de façon de plus en plus agressive de la Chine dans le Sud-est asiatique, à la frontière indienne, à Hong Kong et au-delà de la ligne de démarcation maritime de facto de Taiwan. Quant aux pays européens, ils ne parlent pas tous d’une même voix.

Le levier principal de Trump sur la Chine est que l’économie de ce pays dépend de l’accès au marché américain. Le candidat démocrate Joe Biden est d’accord avec Trump sur le fait que la Chine constitue un défi majeur, manque de franc-jeu en matière de commerce et d’intégrité en ce qui a trait à la propriété intellectuelle américaine. Joe Biden reproche à Trump son approche conflictuelle et se propose d’aviser avec les alliés de l’Amérique. Cette formulation qu’il utilise pour la plupart des problèmes de politique extérieure ne s’accompagne pas de propositions tangibles.

Le président Trump s’évertue à bloquer l’expansion de la compagnie de communication chinoise Huawei qui a une certaine avance dans les technologies 5G pour des raisons économiques et sécuritaires; il a mis aussi des conditions relatives aux applications de réseautage chinoises Tik Tok et WeChat.

Déjà l’Australie, l’Inde, la Grande-Bretagne et l’Union européenne ont pris des mesures qui s’alignent d’assez près sur celles que les États-Unis adoptent envers la Chine tout comme le refus de laisser la compagnie Huawei dominer le marché des réseaux 5G.

La politique américaine vis-à-vis du reste du monde

Le président américain Obama avait fait les yeux doux à la Russie, à l’Iran et aux Frères musulmans, espérant un changement d’attitude de leur part, mais en vain. Trump a renversé la vapeur en sanctionnant encore plus l’Iran dont l’ingérence n’a fait que croitre au Proche-Orient. Il a assuré une plus grande aide militaire à la Pologne, l’Ukraine et la République tchèque.

Trump a retiré les États-Unis d’instances internationales qu’il trouvait onéreuses, bureaucratiques, inefficaces et pour le moins tendancieuses, mais aussi de la Convention-cadre des Nations Unies sur les changements climatiques décidée à la Conférence de Paris en 2015. De surcroît, il impose ses volontés en dépit d’elles. Ainsi, il maintient les sanctions des 5+1 sur l’Iran combien même il s’est retiré de cet accord, sachant fort bien que peu de pays chercheront à initier des relations commerciales avec l’Iran sans qu’ils n’en subissent un effet boomerang.

La crédibilité du leadership américain a perdu de son lustre lorsque Trump abandonna les Kurdes de Syrie permettant ainsi aux forces turques d’envahir les régions limitrophes de Syrie. Par contre, la médiation américaine a permis de normaliser les relations entre les Émirats arabes unis, le Bahreïn et Israël et d’agir comme médiateur entre la Serbie et le Kosovo. Pour ce qui est des Palestiniens, Trump a sevré l’aide américaine dont une partie importante allait aux auteurs d’assassinats suicides.

À l’actif de Trump, les États-Unis ne se sont pas engagés dans de nouvelles guerres: Harry Truman avait impliqué son pays dans la guerre de Corée, John Kennedy fit de même au Vietnam. Cette guerre fut étendue au Laos par Lyndon Johnson, et au Cambodge par Richard Nixon et Gérald Ford. Ronald Reagan fit quelques interventions à Grenade, au Salvador et au Nicaragua. George Bush senior libéra le Koweït, Bill Clinton intervint dans le conflit yougoslave et George Bush fils lança des guerres coûteuses en Afghanistan et en Irak. Barak Obama intervint discrètement en Libye et lança une grande guerre de drones au Pakistan, au Yémen et en Afghanistan. Il soutint les révoltes du printemps arabe, mais ne leva pas le petit doigt pour y donner suite.

Trump a fait une intervention chirurgicale en Syrie après que le président syrien eut recours à l’arme chimique. Par ailleurs, il a mis en marche un processus de dialogue en Afghanistan, bien que son amorce soit chaotique. Après qu’un drone américain fut abattu dans le Golfe persique, il s’est retenu de déclencher des représailles contre l’Iran comme le suggéraient ses généraux. Serait-il aussi prudent s’il avait devant lui un second mandat?

Économie

Avant la pandémie, la santé de l’économie américaine faisait l’envie du monde entier. De janvier 2017 à janvier 2020, 500 000 emplois dans la fabrication avaient été créés, les salaires des ouvriers avaient augmenté de 2,5%, le chômage avait baissé à un niveau inégalé, et particulièrement au sein de la minorité afro-américaine. Les entreprises ont aussi largement profité de la baisse de l’impôt sur les sociétés qui est passé de 35% à 21%.

Or, les États-Unis sont dans l’œil du cyclone de la pandémie qui touche près d’un million de personnes et fait près de 200 000 morts. Le chômage est plus haut que jamais, le nombre de faillites a considérablement augmenté et la dette américaine continue de croître.

En ces temps de pandémie, Trump n’est pas le président rassembleur dont son pays a besoin. Il présente les alternatives comme étant celles d’une économie en chute libre ou celles d’une pandémie en croissance libre. Ainsi et dans sa logique, les démocrates américains qui voudraient mettre en priorité la pandémie risquent de se retrouver avec un pays acculé à la faillite. Les démocrates sont prêts à taxer les plus fortunés pour venir en secours aux personnes dans le besoin, mais une telle approche n’a pas encore gagné le camp républicain.

Il est trop tôt pour juger des conséquences à long terme de la pandémie. Il demeure toutefois que la pandémie a eu un effet dévastateur sur le plan économique et social, mais aussi sur le plan des rapports de force. Par son style et ses actions, le président Trump a déconstruit un certain consensus d’ordre mondial en se retirant de l’Organisation mondiale de la santé et de plusieurs autres instances internationales qu’il critique sévèrement. L’absence américaine de ces instances est vite comblée par la Chine qui y occupe de plus en plus de postes.

Veille d’élections

Le pouvoir législatif américain est tiraillé entre un congrès à majorité démocrate et un sénat à majorité républicaine. Un président démocrate viserait la réintégration à l’accord de Paris sur le climat, une taxation progressive, plus de consultation avec les alliés en matière de politique étrangère et probablement un retour à l’accord des 5+1 sur le nucléaire iranien. Un président républicain continuerait d’appliquer les politiques actuelles d’endiguement de la Chine et de la responsabilisation des alliés en ce qui a trait à la défense.

Actuellement, les sondages donnent à Joe Biden un avantage de 8% et la gestion de la pandémie actuelle peut expliquer cet état de choses. Cependant, il faut s’en méfier: rappelons que les sondages en veille d’élections se sont plus d’une fois démentis. L’avantage de 26% de Jimmy Carter sur Gerald Ford a été réduit à 2,1% le jour du vote en 1976. Celui de 5,6% de Michael Dukakis sur Georges Bush père a décru de 7,8% en 1988. Celui de 0,5% de Barak Obama sur John McCain a augmenté de 8,3% en 2008. Celui de 6,6% pour Hillary Clinton sur Donald Trump a été atténué de 8,8% en 2016. Ces sondages préélectoraux non confirmés lors du vote portent à une certaine prudence en matière de prédiction. En rapport aux attentes du premier débat présidentiel, Biden s’est montré relativement à la hauteur et Trump n’a rien gagné par ses boutades. Si cette tendance se maintient lors des prochains débats, Biden conservera son avance.

Toutefois, le président américain n’est pas élu au suffrage universel. Les électeurs votent pour choisir 538 grands électeurs qui votent pour élire le prochain président américain. C’est ce corps des grands électeurs qui choisissent le prochain président, lequel n’a pas nécessairement la majorité des voix populaires.

La planète est à la veille de changements radicaux en raison de la pandémie et du feuilleton électoral américain qui est plus chargé que jamais.

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