Moyen-Orient : qu'arrive-t-il à la diplomatie française ?

Moyen-Orient : qu'arrive-t-il à la diplomatie française ? (010307/19) [Analyse]

Par Amram Castellion © Metula News Agency

                                   

Depuis le début du siècle, le paysage géopolitique au Moyen-Orient a connu un bouleversement complet.

 

Israël, principal développeur d'armements de très haute technologie, et l'Arabie Saoudite, principal financeur de ces développements après les Etats-Unis, ont mis en place une alliance stratégique qui a transformé la supériorité militaire israélienne en domination absolue et de long terme.

 

L'Iran, qui était encore considéré au début du siècle comme une menace existentielle sérieuse pour Israël, est une puissance finissante, en effondrement économique et sociétal, encombrée par un équipement militaire d'un autre âge.

 

Même si leurs opinions publiques sont encore hésitantes, les puissances sunnites de la Péninsule Arabique ont, en pratique, accepté la permanence d'Israël dans la région. Elles le disent désormais ouvertement.

 

L'Autorité Palestinienne, qui était encore prise suffisamment au sérieux il y a vingt ans pour qu'Ehud Barak lui propose un Etat sur 100% de la Cisjordanie et de Gaza (y compris la souveraineté sur le Mont du Temple) n'est plus vue que comme ce qu'elle est : une mafia qui se répartit l'aide internationale sans se soucier d'administrer quoi que ce soit, qui n'a aucun pouvoir ni à Gaza ni en zone C de Judée-Samarie, et dont même le pouvoir sur les zones A et B n'est rendu possible que par le soutien sécuritaire d'Israël. Les opinions arabes, qui faisaient de la cause palestinienne leur principale passion il y a vingt ans, se sont lassées de cette clique et n'en parlent presque plus jamais.

 

Le Hezbollah, il y a vingt ans, était en train de prendre le pouvoir au Liban pour mener la guerre contre Israël. Aujourd'hui, il a le pouvoir au Liban et tient trop à le garder pour oser attaquer Israël, quelles que soient les instructions de ses maîtres de Téhéran.

 

La population juive en Judée-Samarie (zone C) et dans l'est de Jérusalem atteignait 340 000 habitants en 1999. Elle dépasse 660 000 habitants vingt ans plus tard. Elle augmente 60% plus vite que la population juive à l'ouest de la ligne verte, mais aussi plus vite que la population arabe des zones A et B.

 

Bref, tout a changé. On pourrait donc s'attendre à ce que les services diplomatiques étrangers, dont le métier est d'informer leurs nations respectives de la situation internationale pour leur permettre de défendre au mieux leurs intérêts, adaptent en conséquence leurs analyses et leurs recommandations.

 

Et pourtant, quand on observe la production du ministère français des Affaires Etrangères – le Quai d'Orsay – sur la situation au Moyen-Orient, on est frappé par l'absence de tout changement (en vingt ans !) dans les messages et les propositions.

 

Le Quai continue à demander "une solution à deux Etats (Palestine et Israël), négociée dans le cadre multilatéral des Nations-Unies". Il ne dit pas comment négocier avec deux autorités à la fois (celle de Gaza et celle de Ramallah), ni pourquoi ce qui a toujours échoué du fait du refus palestinien aurait la moindre chance de réussir la prochaine fois.

 

Le Quai continue à considérer toute implantation juive à l'est de la ligne verte comme contraire au droit international. Le fait qu'il sait parfaitement que c'est faux n'est pas grave en soi : il est parfaitement acceptable, en politique internationale, d'être prudent dans l'emploi de la vérité quand cela correspond à un intérêt national. Ce qui est grave, c'est qu'on voit mal comment l'intérêt de la France est défendu en tenant une ligne qui est chaque jour plus contraire à la réalité sur le terrain et à toute perspective réaliste de règlement. Il est possible (souhaitable, à mon sens) que la Judée-Samarie soit un jour partagée, mais elle ne sera jamais rendue dans son intégralité. Jérusalem et le Golan ne le seront jamais. Refuser d'admettre l'évidence n'est pas une manière de faire progresser ses intérêts.

 

Le Quai, qui a fait depuis au moins un siècle le choix (intelligent du reste) d'une politique pro-sunnite, continue à agir comme si son opposition à plusieurs intérêts existentiels d'Israël – une frontière défendable, des Palestiniens désarmés – allait renforcer l'image de la France dans le monde sunnite… Alors même que les puissances sunnites font le chemin inverse et reconnaissent de plus en plus explicitement le caractère légitime de ces intérêts. Concrètement, la France est devenue plus hostile à la politique israélienne que le sont les puissances sunnites avec qui elle souhaite avoir de bonnes relations.

 

Le Quai continue à faire semblant d'accepter les récits des Frères musulmans sur la situation à Gaza (des "manifestants pacifiques" injustement visés par Israël) alors même que le monde sunnite, hors Qatar, s'est donné pour priorité stratégique l'extermination des Frères et que l'information sur la situation réelle – une population terrorisée et fanatisée employée de force dans l'espoir de rompre la frontière et de massacrer des Juifs – est immédiatement accessible pour toute personne disposant d'une liaison internet et d'une formation de niveau école primaire.

 

Le Quai continue à vouloir sauver le régime des mollahs en Iran, en opposant artificiellement un président Rouhani "modéré" et un camp extrémiste. Il sait pourtant parfaitement que le régime, entraîné dans une spirale de ruine et de déclin, ne pourra pas survivre éternellement. Les investissements français de l'époque récente sont perdus, et la France ne pourra revenir en Iran qu'après un changement de régime qui est donc dans son intérêt. Pourquoi, dans ce cas, ne pas adapter en conséquence la politique de la France ?

 

Tout cela semble n'avoir rigoureusement aucun sens. Pourquoi un ministère dont tout le monde s'accorde à dire qu'il contient de bons esprits, et qui est remarquablement informé de ce qui se passe dans le monde, continue-t-il à tenir des discours contraires à la fois à la simple information, aux intérêts des principaux alliés de la France, et à ceux de la France elle-même ?

 

La première réponse de mes sources au Quai d'Orsay est souvent qu'un ministère fait ce que lui dit l'autorité politique et qu'il n'a pas reçu d'instructions pour changer ses orientations. Mais cette réponse n'a pas grand sens. La plupart des hommes politiques français, jusqu'au plus haut niveau inclusivement, ne connaît rien à la région et dépend donc des analyses du Quai pour fixer des orientations. Si ces analyses ne s'adaptent pas aux nouvelles réalités, les instructions ne pourront pas changer non plus.

 

Beaucoup de Français conscients du problème pensent que la gestion politique de la population musulmane française explique l'incapacité française à adapter sa politique extérieure. Je ne suis pas convaincu. Si les puissances arabes elles-mêmes évoluent, avec une population à 100% musulmane, qu'est-ce qui empêcherait la France de le faire avec moins de 15% ?

 

L'explication par la corruption, que j'ai entendue à plusieurs reprises, n'est pas satisfaisante non plus. Il y a bien eu des ambassadeurs – ou plutôt d'anciens ambassadeurs à la retraite – reconvertis en consultants ou avocats pour des puissances du Golfe, mais il n'y a pas de corruption généralisée dans les services qui expliquerait le détournement des esprits. Et même si c'était le cas, cela ne pourrait pas expliquer pourquoi la France reste à la traîne des puissances arabes elles-mêmes dans leur évolution sur la situation au Moyen-Orient.

 

Reste l'antisémitisme culturel traditionnel, assez ancré au ministère. On aime à y penser que les Juifs d'Israël ont créé une entité étrangère et par définition vouée à disparaître. On trouve que la présence d'Israël nuit aux anciennes prétentions de la France à jouer un rôle directement dans la région, et en particulier à participer à la gestion du patrimoine chrétien de Jérusalem. Et, comme tous les groupes attachés à une vision du monde, on y a développé une forte résistance à reconnaître les faits qui la remettent en cause.

 

Mais à la vérité, même cette explication n'est pas entièrement satisfaisante. Les diplomates français ne sont pas des retraités ronchons qui ressassent leurs préjugés en buvant une verveine. Ce sont des professionnels, des analystes, souvent jeunes, exposés quotidiennement à l'information la plus à jour.

 

Mon impression est que le paradoxe le plus important de l'absence de toute évolution de la position française est que les diplomates qui l'expriment savent désormais parfaitement qu'elle ne correspond plus à rien. On me murmure même que des rapports confidentiels, rédigés par le Centre d'Analyse, de Prévision et de Stratégie (ou CAPS, le "think-tank interne" du ministère) auraient abordé la question et été envoyés au ministre.

 

Si cela est vrai, la position française pourrait évoluer rapidement. Encore faudrait-il, cependant, que cette évolution soit gérée. La direction d'Afrique du Nord et du Moyen-Orient (que les autres directions appellent ironiquement "la Rue Arabe") devrait tenir un séminaire général de ses cadres, sur plusieurs jours, avec le soutien du CAPS et sans doute d'intervenants extérieurs, pour discuter de nouvelles orientations et de la manière de faire accepter ces évolutions dans le réseau et dans les relations avec les puissances locales.

 

Or, personne au Quai d'Orsay n'a la volonté, ni probablement la capacité, de gérer un tel changement. Il faudrait pour cela accepter la confrontation avec les dinosaures de l'antisémitisme bon teint, qui sont aussi des personnages respectés du ministère ; obtenir la validation d'autorités politiques qui craignent tout saut dans l'inconnu ; adapter les programmes de formation et les éléments de langage que les rédacteurs copient et collent depuis des générations ; et pire que tout, trouver un moyen digne de reconnaître qu'on a pu se tromper dans le passé.

 

La machine du Quai est, tout simplement, incapable d'un tel effort de gestion. Et c'est faute de pouvoir mettre en œuvre une telle transformation que la France se condamne, dans son traitement diplomatique du Moyen-Orient, à prendre des positions de plus en plus éloignées de la réalité et à devenir toujours davantage, aux yeux des acteurs locaux, une simple relique historique dont les avis n'ont aucune conséquence et qui n'a aucun rôle sérieux à jouer.

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