La saga électorale israélienne, par David Bensoussan

La saga électorale israélienne, par David Bensoussan

 

Après 18 mois de transition, un gouvernement a enfin été formé. Le troisième tour d’élections a pourtant semblé déboucher sur une nouvelle impasse, car l’obtention de la majorité parlementaire de 61 députés n’aura pas été évidente.

Le bloc de droite a réuni 58 députés : bien que le Likoud (droite nationaliste et libérale) ait gagné 4 sièges par rapport aux élections précédentes, sa coalition n’a pu réunir que 58 députés en comptant les partis religieux (16) et le parti nationaliste Yamina (6).

Le bloc de de centre gauche et de gauche a rassemblé 40 députés : Bleu-blanc 33 et le rassemblement de partis de gauche et de centre gauche : Parti travailliste, Merets et Gesher (7) dont le Gesher (1) s’est désolidarisé.

Il n’est resté les partis qui peuvent faire pencher la balance : Ysrael Beytenou, parti nationaliste et laïc (7) et la Liste unie des minorités essentiellement arabes (15).

Les tentatives de coalitions parlementaires

Lieberman dirige le parti Ysrael Beytenou. Pour ce qui est de la laïcité, il a imposé ses conditions qui ont été acceptées par Gantz : conscription des orthodoxes (qui sont pour l’instant exempts de service militaire), mariage civil et pensions de plus de 70% du salaire minimum. Toutefois, Lieberman ne veut pas du parti arabe au gouvernement, d’autant plus que trois de ses membres sont radicaux et que certains de ses députés ne reconnaissent pas Israël comme un État juif.

Un autre facteur important est sa rancœur personnelle envers le premier ministre Bibi Netanyahou qui ne lui avait pas laissé les mains libres alors qu’il était ministre de la Défense. Lieberman était partisan de la méthode très dure envers Gaza et n’a pas pu exercer sa fonction comme il l’entendait.

La minorité arabe en Israël a toujours été politiquement divisée. Lorsque le minimum de votes pour la députation des partis passa de 2 à 3,25%, beaucoup ont vu cette modification comme malveillante envers eux. Les partis arabes minoritaires ont décidé d’unir leurs forces, se renforçant ainsi pour récolter 15 sièges. Cette liste a réuni des citoyens qui veulent assumer leur identité politique, mais aussi des radicaux qui glorifient parfois les attentats terroristes.

Le parti bleu-blanc a courtisé la Liste arabe unie qui a vu son pouvoir relatif s’accroître encore plus. Certains des députés de la Liste unie ont proposé une participation passive en ne votant pas contre un gouvernement Bleu-blanc. Il s’en est trouvé qui annoncèrent qu’ils se joindraient au parti bleu-blanc pourvu que l’on acceptât que les Juifs ne puissent se rendre au mont du Temple… La réaction d’autres députés dont Orith Lévy Abécassis de Gesher a été qu’il n’était pas question de marchander des valeurs de principe avec des radicaux. Elle a retiré son appui à la coalition Bleu-blanc et a fini par rejoindre la coalition du Likoud.

Le parti Bleu-blanc qui avait obtenu du président de l’État le mandat de former un gouvernement aurait pu donc compter en principe, sur une majorité de 61 députés. Or, deux d’entre eux ont hésité à accepter un gouvernement partagé avec des radicaux de la Liste arabe. Ainsi, la coalition Bleu-blanc eut peine à trouver sa majorité. Quand bien même elle l’aurait obtenue, aucune décision majeure n’aurait pu être prise tant ses députés sont polarisés en regard des grands enjeux géopolitiques.

Malgré l’opposition déclarée de la part de certains de ses membres du parti Bleu-blanc à Bibi Netanyahou qui fait l’objet d’accusation de corruption (en fait les procès non essentiels ont été reportés en raison de la pandémie, ce qui repousse la comparution de Netanyahou au 24 mai), il semble bien que les deux grands partis aient été condamnés à s’entendre pour former un gouvernement d’union nationale. Et de fait, le parti Bleu-blanc a implosé lorsque Gantz a décidé de former un gouvernement d’union nationale avec le Likoud. Bien entendu, la distribution des portefeuilles ministériels aura été des plus délicates. Le fait que le parti de droite Yamina soit partagé en regard de l’association à la coalition laisse entendre que le gouvernement sera plus centriste.

Un quatrième tour électoral était impensable et le confinement généralisé en raison de la pandémie du Covid19 a favorisé la formation d’un gouvernement unifié. Durant la pandémie actuelle, le leadership de Netanyahou aura été incontestable. Ses mesures préventives draconiennes appliquées très tôt (cessation des vols aériens, suivi téléphonique de la localisation des personnes infectées) ont certainement contribué à minimiser le nombre de personnes infectées par le COVID19. Et de fait, 45% de la population ont jugé Netanyahou plus compétent pour gérer la crise actuelle, comparés à 34% qui ont opté pour Gantz.

Réalités nouvelles

Ces élections ont mis en jeu une réalité nouvelle : la sécurité a toujours été la préoccupation première de l’État hébreu. Or, la paix est signée avec l’Égypte et la Jordanie. La Syrie qui a toujours été contre tout accord avec Israël est aujourd’hui en ruines. Reste le danger que représentent l’Iran et ses milices dans le Croissant Fertile. Mais la déstabilisation iranienne du Moyen-Orient représente un problème pour de nombreux pays du monde dont les états arabes sunnites.

Aussi, il semble bien que le temps soit venu de définir l’entité israélienne. Certains prônent une identité citoyenne neutre et de fait beaucoup d’électeurs juifs ont donné leur appui à la Liste unie. D’autres tiennent à s’identifier dans la continuité du nationalisme juif et des valeurs identitaires qui lui ont permis de survivre au cours des siècles.

Un autre facteur non moins important est que la pandémie a rapproché les citoyens juifs et arabes. 17% des médecins, 24% des infirmières et 48% des pharmaciens se recrutent au sein de la minorité arabe et l’ensemble du corps médical a collaboré de façon exemplaire dans des circonstances difficiles. Il en va de même pour les communautés juives orthodoxes dont une proportion importante vit en marge de la société. Il est encore trop tôt pour savoir l’effet à long terme de cette cohésion nationale.

La question de l’autorité de la Cour suprême vis-à-vis du Parlement a été mise à l’épreuve. La cour suprême arbitre des pourvois en cassation après jugement rendu par la cour de district. Elle fait fonction de Haute cour de justice et permet à chaque citoyen de contester des décisions étatiques qui touchent à sa liberté et sa dignité. Ce droit de contestation a été élargi pour inclure les associations qui défendent le bien du public.

La Haute cour de justice prend également position en regard de la compatibilité des lois gouvernementales aux lois fondamentales qui servent de constitution. Elle a décidé que les lois fondamentales n’accordaient pas au Président de la Knesset la prérogative de décider que l’élection à la présidence de la Knesset et la formation de comités parlementaires attendent la formation du gouvernement. Le président de la Knesset Yuli Edelstein du Likoud a démissionné plutôt que de se conformer à cette directive. Le dernier mot n’aura peut-être pas été dit sur ce chapitre particulier.

à propos de l'auteur
Dr. David Bensoussan est professeur d’électronique. Il a été président de la Communauté sépharade unifiée du Québec et a à son actif un long passé d’engagement dans des organisations philanthropiques. Il a été membre de la Table ronde transculturelle sur la sécurité du Canada. Il est l’auteur de volumes littéraires dont un commentaire de la Bible et du livre d’Isaïe, un livre de souvenirs, un roman, des essais historiques et un livre d’art.
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